Suite au culte radiodiffusé Un peu d’amour, que diable! que j’ai eu le privilège de présider le 8 novembre dernier, j’ai reçu de nombreux messages, mails et même quelques lettres. Quand on est pasteure en paroisse, les retours sont rares. Je les ai donc savourés. Je partage ici certaines réflexions que ces messages m’inspirent.
Prédication: un art oral
Un monsieur m’écrit pour me dire qu’il a apprécié le culte, partage avec moi les réflexions qu’il a suscitées chez lui et m’informe qu’il ne demandera ni le CD ni le texte de la prédication car il « apprécie le caractère événementiel d’une prédication dont [il a] partagé l’écoute avec cette communauté vivante et vraie des auditeurs de la radio ». Je partage avec ce monsieur l’attachement à l’événement unique: lorsque je participe au culte mais il en est de même pour une conférence, une représentation de théâtre ou d’opéra, j’aime cette dimension éphémère. Ce qui est donné l’est ici et maintenant. Je le reçois dans l’instant, dans la disposition d’esprit dans laquelle je suis à cet instant là. C’est ainsi que le message me parle… ou qu’il ne me parle pas.
Ce caractère événementiel m’a longuement fait hésiter à mettre mes prédications à disposition sur un blog. Cela et le fait que ce sont des textes voués à être dits et non pas lus. Le texte d’une prédication n’a pas de haute prétention littéraire, il suit mon rythme d’élocution, il correspond à ma manière de m’exprimer, il est difficilement distinct de l’oral.
Pourtant, je constate que d’autres personnes apprécient d’avoir accès à la forme écrite. Pour diverses raisons: manque de disponibilité le dimanche matin, éloignement géographique, occupations personnelles incompatibles avec le culte, sensibilité plus forte à l’écrit qu’à l’oral… ou encore manque d’affection pour l’accent neuchâtelois 😉 Également pour d’autres raisons qui nous plaisent peut-être moins mais qui ne me semblent pas moins valables: certain·e·s n’apprécient pas le culte mais sont intéressé·e·s par le contenu d’une prédication.
Pourquoi donc priver ces personnes de quelque chose qui leur convient? Au nom d’une vision idéalisée de la prédication-événement? Mais si l’Esprit décide de souffler lorsque quelqu’un lit, qui suis-je pour juger que cela aurait moins de valeur? Et celles et ceux qui ne veulent pas lire/relire une prédication sont libres de ne pas venir sur mon blog.
Faire mouche
« Votre prédication a fait mouche! » Ce sont les mots qui me sont parvenus de deux personnes distinctes, issues de deux régions éloignées et, d’après ce qu’elles disent d’elles dans leur message, qui n’ont pas grand chose en commun. Voilà qui m’intéresse. La prédication devrait avoir une certaine portée universelle mais en même temps sortir des généralités pour toucher l’individu.
L’Évangile est unique. Message universel solidement ancré dans les textes de la Bible, traduite dans toutes les langues du monde, mais identique d’âge en âge. Et pourtant l’Évangile ne dit rien s’il n’est pas incarné, s’il ne trouve pas écho dans une vie individuelle, s’il ne prend pas sens dans une existence unique.
Dans mes études de théologie, puis lors de mon stage pastoral, j’ai souvent entendu ceci: le·a pasteur·e a la charge de ce qui est émis, mais c’est l’Esprit ce qui se charge de ce qui est reçu. Cela est très libérateur pour le·a prédicateur·trice qui doit prendre distance par rapport à une certaine volonté de maîtrise: il·elle n’a pas prise sur ce que la personne comprend de la prédication et sur ce qu’elle en fait dans sa vie. En revanche, sa responsabilité demeure grande car il·elle doit faire de son mieux pour offrir à Dieu l’espace favorable pour toucher les cœurs. Voilà qui m’encourage à ne pas laisser la paresse s’installer et à poursuivre un travail sérieux de préparation des cultes que je préside.
Un texte bateau
Faut-il ou non prêcher sur les textes très connus? Je me pose régulièrement cette question car il est vrai qu’à force de s’appuyer uniquement sur les textes et les récits connus, on en arrive à avoir en face de soi des personnes qui pensent que la Bible se résume à l’arche de Noé et Jésus qui multiplie des poissons.
Choisir des textes moins connus a l’avantage de les faire découvrir et souvent de les découvrir soi-même lors de la préparation du culte. C’est enrichissant et renouvelant. Pour cela, on peut par exemple suivre le lectionnaire qui attribue des textes à chaque dimanche de l’année.
Pour ce culte radio, j’avais fait le choix inverse. Proposer des textes très connus, plus simples d’accès pour l’écoute. Le risque réside dans la lassitude « oh encore ce texte… on a déjà tout dit là-dessus ». Peut-être est-ce la réaction qu’ont eu certaines personnes qui n’ont pas pris la peine de m’écrire pour me le dire (ce que je comprends totalement) et qui ont peut-être même bouclé leur radio et consacré leur dimanche matin à autre chose. Mais je constate que pour certain·e·s, ces textes ont eu un écho particulier. Je ne l’avais pas mesuré avant mais j’ai reçu plusieurs témoignages me disant que c’était le texte qui avait été lu à leur mariage, ou aux funérailles d’une amie, ou encore que l’écoute du culte avait permis de le découvrir sous un jour nouveau.
Ces personnes avaient une histoire avec le texte! Lorsqu’on a une histoire avec un texte, ou avec une musique ou une œuvre d’art, les événements qui nous permettent de prolonger cette histoire sont précieux. J’ai été touchée par ces témoignages qui m’encouragent, alors que nous entrons dans le temps de l’avent, à ne pas me dire: mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter de nouveau cette année sur les textes de la Nativité?
Sacré-profane
J’ai reçu de très nombreuses félicitations pour la musique, que je me suis empressée de transmettre à celles et celui auxquelles elles étaient destinées: le pianiste-chanteur Evan Métral et les chanteuses Julia, Sarah et Solange Platz.
La qualité de l’exécution a marqué, le choix des pièces aussi. Une personne m’écrit: « j’ai apprécié votre audace à proposer des chants « profanes », dont les paroles ont du sens, y compris pour un culte. J’aime cette liberté rafraîchissante ».
La distinction entre profane et sacré m’ont toujours posé problème. Pour moi, il n’y a pas ce qui est religieux et ce qui ne l’est pas. Il y a la Vie et c’est tout! Certaines musiques m’ont fait vivre des moments de grâce, des textes ont nourri ma foi, des lieux ont résonné dans mon parcours sans nécessairement que ce soient des musiques sacrées, des textes bibliques ou des églises.
Je n’aime pas isoler la foi du reste de mon existence, c’est pourquoi ce qui m’intéresse c’est de faire dialoguer la culture avec la religion. Que ce soient les textes, la peinture, la musique, le cinéma. C’est ainsi que je conçois ma foi, c’est aussi comme cela que j’aime en témoigner.
Poésie
Pour terminer ce billet, j’aimerais partager un texte que j’ai reçu comme un cadeau. Un collègue retraité m’a envoyé ce poème de Philippe Jaccotet « dans le sillage » de ma prédication, pour reprendre son expression.
L'attachement à soi augmente l'opacité de la vie. Un moment de vrai oubli, et tous les écrans les uns derrière les autres deviennent transparents, de sorte qu'on voit la clarté jusqu'au fond, aussi loin que la vue porte; et du même coup plus rien ne pèse. Ainsi l'âme est vraiment changée en oiseau
Merci à lui, qui ignore évidemment qu’il y a quelques mois de cela mon mari a justement reçu l’album de la Pléiade de Jaccotet!