Prédication du dimanche 21 mars 2021, 5e dimanche de carême, au temple de Rochefort.
Lectures bibliques: Ésaïe 43,16-25 et Jean 11,17-45.
Des questions de vie et de mort
À quelques deux semaines de Pâques que nous sommes désormais, c’est autour des questions de vie, de mort, de vie éternelle et de résurrection que je vous propose de faire un petit bout de chemin ce matin. Des sujets qui se trouvent à la croisée des connaissances, des croyances et des espérances. A la rencontre des domaines du savoir et des sciences, de la philosophie, de l’éthique et des religions.
A la question « qu’y a-t-il après la mort? » il y a sans doute autant de réponses que d’êtres humains. Mais notre réponse propre sera indubitablement teintée de l’histoire qui nous précède, de la culture dans laquelle nous évoluons et des enseignements que nous avons reçus. La foi personnelle et individuelle se nourrit sans cesse des croyances et des connaissances de l’environnement dans lequel la personne évolue.
La Bible elle-même est témoin de l’évolution des croyances à travers les âges. Les textes les plus anciens témoignent d’une foi bien différente en la matière que les textes les plus récents du Nouveau Testament.
Un monde des morts sans Dieu
Dans le monde des textes premiers de l’Ancien Testament, il n’était pas question de vie après la mort. Ce qui importait, c’était le temps de la vie terrestre. La représentation du monde de l’époque était fondamentalement divisée entre haut et bas, le monde du dessous et le monde du dessus.
La vie naît de la terre, de l’argile originel. La mort entraîne un retour à la terre, retour au monde d’en-bas. « Tu étais poussière et tu retourneras à la poussière. » Après la mort, c’était le grand Rien, le shéol dont même Dieu est absent. La poussière.
Seul le laps de temps que durait la vie terrestre permettait de vivre la proximité avec le monde d’en-haut. Durant le temps de son existence (non pas ici-bas mais ici-haut), l’homme, la femme se tient debout. La terre réduite à demeurer sous ses pieds. C’est donc durant le temps de sa vie – et uniquement durant ce temps là – que l’être humain peut être proche de Dieu. Qu’il et elle est en contact avec le Ciel.
Espérance d’une résurrection
Au cours des siècles, des millénaires, la pensée évolue et la proximité avec la le monde grec n’y est certainement pas étrangère. Quelques 200 ans avant Jésus-Christ commence à se développer dans certains mouvements du judaïsme une foi en une vie après la mort. Au temps de Jésus, l’espérance de la résurrection est bien ancrée. Dans notre texte, Marthe en témoigne. On croit alors que les morts attendent. Et qu’un jour – dans un an ou dans un siècle peu importe le temps n’a plus la même valeur – adviendra la fin des temps. Alors ce sera le Jugement dernier. Les morts reviendront à la vie pour être jugés.
L’espérance de cette résurrection est très fortement liée à l’espoir d’une restauration: les justes qui auront eu une vie difficile seront reconnus dans leur droiture et les bourreaux qui auront traversé l’existence humaine en toute impunité se trouveront châtiés.
Résurrection et/ou réincarnation
Chaque religion est porteuse de sa (ou plutôt de ses) propres conceptions de la vie après la mort. Nos conceptions actuelles sont aussi influencées par des croyances venues d’Orient, telle que la réincarnation par exemple. Mais alors que celle-ci est ici souvent comprise comme une nouvelle chance, la vision bouddhiste de la réincarnation est loin d’être aussi positive. Le bouddhisme a une perception fondamentalement négative de la vie. La vie est souffrance: échec, frustration, désirs inassouvis. Le but ultime est de se détacher de tous ses désirs, et donc de toutes ses souffrances, pour atteindre l’Éveil et se fondre dans le grand Tout (ou le grand Rien).
La réincarnation est donc un échec. Parce que l’âme n’est pas parvenue à l’Éveil, elle recommence une nouvelle vie, encore et encore… Cette croyance en la réincarnation est fondamentalement incompatible avec la foi chrétienne qui, certes reconnaît les souffrances, mais affirme que Dieu a créé la vie pour le beau et pour le bien.
Bien sûr, en brossant ainsi les grandes lignes des croyances, nous forçons le trait et manquons de nuances. Les historiens des religions trouveraient peut-être que ces raccourcis sont trop rapides. J’en suis bien consciente. L’objectif ici est seulement de toucher du doigt afin d’apercevoir l’immensité du champ des croyances.
Un Dieu relégué au monde des morts
Ce qui me frappe dans ce que je perçois des croyances actuelles autour de la vie après la mort, c’est à quel point nous sommes pratiquement à l’opposé de la foi du monde de l’Ancien Testament. Alors que pour les anciens la proximité avec Dieu ne pouvait se vivre que du temps de son vivant, aujourd’hui Dieu me semble relégué au monde des morts.
Si bien qu’il ne devient nécessaire de se poser la question de Dieu qu’au moment où la menace d’une mort prochaine devient concrète. De son vivant, on n’a finalement pas besoin de Dieu. Il sera toujours assez tôt de se poser la question quand on deviendra vieux, pour préparer la rencontre avec lui, qui n’adviendra que lorsque la mort aura frappé.
Encore une fois, je force le trait.
La foi de Marthe
C’est avec en arrière-fond cette question fondamentale : « qu’est-ce que je crois au sujet de la vie et de la mort ? » que nous sommes invité·e·s, en ce temps du carême, à relire le récit de la résurrection de Lazare. 7e et dernier miracle de l’évangile de Jean. Dernier « signe » révélateur de la personne du Christ avant que lui-même soit couché dans un tombeau devant lequel on roulera la pierre.
Marthe vient à la rencontre de Jésus et aussitôt affirme sa foi: si tu avais été présent, il ne serait pas mort. On pourrait comprendre cette phrase comme un reproche (Jésus ne s’est pas suffisamment pressé pour venir au chevet de son ami), je crois que nous pouvons plutôt l’entendre comme l’affirmation de la foi de Marthe. Elle reconnaît en Jésus un guérisseur exceptionnel, capable de relever un paralytique et de guérir un aveugle de naissance. Il peut repousser les limites de la vie et celles de la mort. Mais de là à croire qu’il peut encore faire quelque chose quand la mort a déjà frappé…
Marthe ne veut pas vivre dans le regret, dans le monde des si… si tu avais été là… si mon frère était encore vivant…
Elle fait confiance à Jésus pour l’aider à vivre son deuil. Et dans ces moments d’intense bouleversement, elle se raccroche au contenu de sa foi, presque récitée comme un catéchisme appris avec application: la résurrection adviendra à la fin des temps et ce jour-là mon frère ressuscitera.
C’est maintenant!
Ce sur quoi Jésus opère un changement, c’est sur la temporalité. Au futur lointain, incertain et irréel de la fin des temps évoqué par Marthe, Jésus répond par un présent: Je suis. Je suis la résurrection et la vie.
Et par cette parole, Jésus ramène la réalité de la résurrection du lointain avenir à aujourd’hui! La résurrection c’est une histoire ni d’hier ni de demain, mais d’aujourd’hui. Ici est maintenant. Et cela concerne Marthe autant que Lazare. Cela nous concerne vous et moi autant que Marthe et sa sœur Marie.
En faisant lever Lazare du tombeau par la seule puissance d’une parole: Lazare, sors! Jésus rend concret le pouvoir que Dieu a sur la mort. La mort n’est ni repoussée ni évitée. Elle est vaincue, dépassée, transcendée.
Bien sûr en découvrant ce corps couvert de bandelettes et ce tombeau ouvert, résonne déjà à nos oreilles le récit de Pâques. Mais ne nous précipitons pas! Ne courons pas en toute hâte à cette pierre roulée un dimanche matin. Avant, il nous faudra nous placer face à la croix. La mort ne sera ni repoussée ni évitée.
Jamais la résurrection n’est proclamée comme une consolation facile qui nous accorderait de faire l’économie de la confrontation avec la mort.
Je suis la résurrection et la vie, dit Jésus. Non plus la résurrection à la fin des temps, mais la résurrection ici et maintenant. La vie en plénitude, la vie éternelle dès à présent.
Nouvelle vie, nouvelle mort
Nous parlions tout à l’heure de la rencontre entre le monde des croyances, la philosophie, la théologie. Dans cette parole de Jésus, c’est le sens même du mot vie qui change et toutes nos conceptions qui sont appelées à évoluer.
La vie éternelle n’est plus conçue comme une autre forme de vie qui commencerait après la mort biologique, ou une forme d’existence sans fin dans la proximité de Dieu, mais une vie qui commence dans l’aujourd’hui de la foi et qui se poursuivra encore quand la mort naturelle aura frappé.
La mort désigne désormais l’existence vécue en l’absence de Dieu ou en rupture avec lui. La vie éternelle se définit comme l’existence humaine vécue en relation avec Dieu.
Vous et moi pouvons dès lors être déjà morts si notre vie ne se place pas dans la relation avec Dieu. A contrario, nous pouvons dès à présent vivre la vie éternelle dans la foi et à ce titre affronter sans crainte la perspective inéluctable d’une mort qui mettra un jour un terme à notre vie ici-bas, mais en aucun cas un terme à notre relation avec Dieu.
Aujourd’hui retentit la parole du Christ : Sors, lève-toi !
Vois, la vie éternelle débute ici et maintenant !
Une parole qui a retentit et que a ressuscité Marthe autant que Lazare.
Une parole qui retentit et peut aujourd’hui même nous faire entrer dans la vie éternelle.
Amen
Merci, Diane, de nous rappeler que nous n’avons qu’une vie et que c’est maintenant ! Que Dieu est le Dieu des vivants qui sont en relation avec Lui et avec les autres.
À l’heure actuelle et avec ce que nous vivons, j’entends souvent : « Vivement demain, l’été, l’année prochaine, la vaccination à grande échelle… Quand on pourra… » Sauf que c’est aujourd’hui que nous vivons. Alors, célébrons la vie, la joie d’être vivants.
Amitiés, Jean-Marc
Oui, Jean-Marc. Vivons tant que nous sommes des enfants vivant·e·s de Dieu!
Amitiés à toi et belle route vers Pâques.