Jésus devant ses juges: ou quand tous les joueurs sont mauvais

Prédication du Vendredi saint 25 avril 2016
Textes bibliques: Marc 14,53-65 et Marc 15,1-5

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Croix réalisée par les enfants pendant le culte

La semaine pascale est l’occasion, année après année, de nous replonger dans ces récits de la Passion. Depuis le dernier repas jusqu’à la crucifixion, nous faisons mémoire de ces épisodes qui marquent les derniers jours de la vie de Jésus. Cette année, j’ai pris encore un peu mieux conscience de la place très particulière que le récit de la Passion occupe dans l’évangile de Marc.

L’évangile le plus bref parmi les 4, Marc est toujours très succinct. Les récits de miracle, les paroles et les paraboles s’enchaînent sans fioritures. La langue est simple et claire. Les récits vont à l’essentiel de manière remarquable.
Puis Marc consacre deux chapitres entiers à la Passion et la narration devient plus fournie, les personnages prennent de l’épaisseur. La résurrection n’occupera, elle qu’un seul chapitre. Très bref. 8 versets auxquels on ajoutera une finale à l’évangile quelques années plus tard. C’est dire combien le récit des événements des derniers jours, des dernières heures de Jésus, est central dans la théologie de l’évangéliste Marc. Ce sera aussi le cas pour les autres évangélistes.

Alors que la théologie de Paul, elle, ne laisse aucune place à la narration de ces jours. La mort et la résurrection du Christ, annoncés comme un événement – concept théologico-philosophique – deviennent le centre du message chrétien, sans nécessité de les raconter.

Pour le culte de ce matin, je vous propose de réentendre deux parties de ce récit chez Marc.
Les deux moments de procès. Le premier, face au Conseil supérieur des autorités juives, le Sanhédrin et celui qui le préside: le Grand prêtre. Puis le second moment de procès, face gouverneur romain Ponce Pilate.

Lecture de Marc 14,53-65
Lecture de Marc 15,1-5

Rendre la justice

Pour quelle raison fait-on un procès?
Depuis plusieurs millénaires dans les sociétés humaines, c’est ainsi que l’on exerce le droit. Ainsi que l’on procède pour rendre la justice.
Les procès cristallisent beaucoup d’attentes. De toutes parts.
Certains procès très médiatisés nous permettent d’en prendre conscience.

L’attente des victimes ou de leurs familles ne se concentre pas seulement sur la peine qui sera infligée au coupable. Elle se porte aussi sur l’espoir que le procès devienne un espace où la vérité puisse émerger. Où les événements puissent être dits, reconnus, avoués. Qu’un remord puisse être exprimé. Qu’une culpabilité puisse être dite.
Les victimes ou les familles espèrent parfois tant que le procès participe à leur consolation, qu’elles en oublient que du point de vue du droit, la démarche se borne à chercher une vérité judiciaire, rien de plus.

Pour qu’un procès permette à la fois de faire émerger une vérité judiciaire et une vérité humaine source possible de consolation, il faut que chaque partie joue le jeu. Que chacun joue son rôle et le joue bien. Que l’accusé explique son geste, que la victime exprime sa souffrance, que l’avocat mette en avant les droits et les devoirs avec bonne foi, pour que le juge puisse prononcer une jugement reconnu comme juste.
La réalité humaine est souvent bien différente.

Un procès tout faux

Le procès de Jésus n’est qu’un simulacre de justice. Tout est faussé. Aucune des parties ne joue pleinement son rôle. Pour conserver la forme de la légalité, on le mène, mais en aucun cas il n’y a espoir que ce moment permette à la vérité d’émerger.
Le but du procès est posé dès le début: les chefs des prêtres et tout le Conseil supérieur cherchaient une accusation contre Jésus pour le condamner à mort.

Les juges et les accusateurs sont les mêmes personnes. Elles ne cherchent qu’à saisir l’occasion de prononcer un verdict qui a déjà été décidé. Mais c’est sans compter que les témoins, eux non plus, ne jouent pas bien leur rôle. Ils sont tellement mauvais qu’ils ne parviennent même pas à faire concorder leurs faux témoignages.
L’accusé lui-même, Jésus, ne joue pas bien son rôle. Il ne se défend pas, il ne dément pas, ne s’offusque en rien des faux témoignages portés contre lui. Ce qui a le chic d’irriter au plus haut point le grand prêtre.
Et on aurait presque envie que Jésus en reste là. Opposant ce silence qui ne fournit pas d’eau au moulin des accusateurs. On en irait presque jusqu’à croire qu’ils auraient dû le relâcher.

Mais à la question es-tu le Messie, le fils du Dieu béni?, Jésus répond par l’affirmative et en rajoute en citant un psaume qui l’identifie à celui qui siège à la droite de Dieu. Face au Sanhédrin, c’est bien cela qui le condamne: s’affirmer celui qui siège à la droite de Dieu.
Alors que Pilate, lui, l’interroge sur ce titre que certains lui donnent roi des juifs, et qui pourrait faire de Jésus un adversaire politique gênant.

L’un et l’autre condamnent en fonction de ce qui risque de leur faire de l’ombre.

La vérité se fait jour

Simulacre de procès, où personne ne joue vraiment son rôle. Mais paradoxalement, ce procès-là permet pleinement à la vérité d’émerger. Aux dépens de ceux qui les intentent, la vérité sur l’identité de Jésus se fait jour.
Jésus, le messie, le roi.
Celui dont les prophéties annonçaient qu’il devrait souffrir.
Le Fils qui siégera à la droite du Père.
Celui qui bâtira en trois jours un temple qui ne sera pas fait par les hommes.

La vérité émerge au cœur de ce mensonge. Pour autant que nous ayons des oreilles pour entendre!

L’autre soir, lors d’une rencontre de l’Église ouverte ou nous avons écouté et médité ces récits de la Passion, quelqu’un disait: ce qui me frappe, c’est combien tous les protagonistes de cette histoire ont peur. En effet. Le Grand prêtre a peur et il se fait le porte parole de la peur de toutes les autorités juives de l’époque face à cet agitateur qu’est Jésus. Ils ont peur pour leur place, peur que leur autorité soit mise en question, peur aussi d’oser eux-mêmes se laisser bousculer dans ce qu’ils ont toujours cru être la vérité.

Pilate a peur. Peur surtout de ne pas se mettre la foule à dos. C’est sans grande conviction, apparemment, qu’il condamne Jésus. Il n’aurait pas l’audace de s’opposer à la volonté du peuple qui crie crucifie-le!. Et pourquoi le ferait-il? Où serait son intérêt à lui refuser la tête de cet homme?

Jésus a peur, lui aussi. Lorsqu’il s’en va prier à Gethsémané. Face à la souffrance, à l’injustice, à la solitude, à la mort. Il a peur.

Et puis la foule a peur. Tout comme les gardiens. Une ambiance pesante qui laisse exploser tout ce qu’il y a de plus laid dans la nature humaine. Ou plutôt qui fait perdre toute humanité. Après la condamnation, Jésus est laissé à la violence humaine la plus vile.

Voilà les dégâts que font la peur!

Des dégâts aussi bien aux victimes de la violence qu’à ceux qui l’exercent et qui y perdent leur humanité.

Quelles armes face à la peur?

On ne peut s’empêcher, en ce Vendredi saint, de penser aux événement qui bouleversent le monde aujourd’hui. Par les attentats, c’est bien la peur – la terreur – qui veut être semée. Ici en Europe, comme au Proche Orient et en Afrique. Certains, semble-t-il, trouvent leur intérêt dans un terreau de peur. Et pour cela, ils sèment le chaos.

Si il faut craindre une chose, c’est bien que la peur s’installe. Car c’est le terreau dans lequel l’être humain perd son humanité.

Quelles sont les armes que nous possédons pour combattre cette volonté d’installer la peur? Les mêmes que celles que Jésus avait.
La force du silence. Pas du silence complaisant ou couard. Le silence de celui qui refuse de répondre à la violence par la violence.
L’affirmation de l’espérance: vous le verrez siéger à la droite de Dieu. Une espérance que la noirceur n’aura jamais le dernier mot. Au moment même des humiliations et des souffrances, la victoire de la lumière est annoncée.
Et le courage de traverser des épreuves sans s’y sentir abandonné.

Silence, espérance et courage. Face aux bombes et à la haine. Nous avons de quoi nous sentir sous-équipés. Et pourtant!

Pourtant, nous affirmons que celui qui pour nous est Dieu a été crucifié. Qu’il a été mis à mort de manière infamante. Et les récits qui nous en font mémoire sont violents!
Qu’il a été crucifié et qu’il est mort.

Mais que contre toute attente, au cœur même du mensonge et de l’infamie, c’est la vérité qui a été révélée. Nous croyons qu’en mourant, le Christ a ôté à la mort son attribut suprême: sa dimension définitive.

Et nous osons alors entre-ouvrir une fenêtre jusque vers dimanche et l’espérance que nous ne sommes pas abandonnés à Vendredi saint mais que nous pouvons le vivre avec la promesse de Pâques à venir.

Amen

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