Dixit dominus

Avec le Chœur de Colombier – La BARC, nous chanterons prochainement le Dixit dominus de Haendel. Il s’agit du psaume 110 en latin. Le texte intrigue. Il m’a donc été demandé d’en dire quelques mots. Voici quelques éléments pour nous aider à mieux comprendre ce que nous chantons.

Ci-dessous, le texte en latin et la traduction française proposée dans la partition (éditions Carus 55.232/03). On notera que le français est la traduction du latin. On s’éloigne donc un peu du texte biblique en traduisant une traduction.

VersetTexte latinTraduction en français
110,1Dixit Dominus Domino meo:
Sede a dextris meis
Donec ponam inimicos tuos,
scabellum pedum tuorum
Parole de l’Éternel à mon Seigneur:
Assieds-toi à ma droite,
jusqu’à ce que je fasse
de tes ennemis ton marchepied.
110,2Virgam virtutis tuae emittet Dominus ex Sion dominare in medio inimicorum tuorumL’Éternel étendra de Sion le sceptre de ta puissance : Domine au milieu de tes ennemis !
110,3Tecum principium in die virtutis tuae in splendoribus sanctorum ex utero ante luciferum genui te.Ton peuple est plein d’ardeur, quand tu rassembles ton armée ; avec des ornements sacrés, du sein de l’aurore ta jeunesse vient à toi comme une rosée.
110,4Juravit Dominus et non poenitebit eum tu es sacerdos in aeternum secundum ordinem Melchisedech.L’Éternel l’a juré, et il ne s’en repentira point : tu es sacrificateur pour l’éternité, à la manière de Melchisédek.
110,5Dominus a dextris tuis confregit in die irae suae regesLe Seigneur, à ta droite, brise des rois au jour de sa colère.
110,6Judicabit in nationibus implebit ruinas conquassabit capita in terra multorumIl exerce la justice parmi les nations : tout est plein de cadavres ; il brise des têtes sur toute l’étendue du pays.
110,7De torrente in via bibet propterea exaltabit caputIl boit au torrent pendant la marche : c’est pourquoi il relève la tête. 
DoxologieGloria Patri, et Filio, et Spiritui sancto.
Sicut erat in principio, et nunc, et semper, et in saecula saeculorum. Amen.
Gloire au Père, au Fils et au Saint Esprit.
Comme au commencement, et maintenant, et toujours, et pour l’éternité.
Amen

Avant de parler du psaume 110, il m’a paru intéressant de donner quelques éléments généraux sur les psaumes, qui nous aident à en saisir le sens.

Le titre

Pour commencer, le titre : dixit dominus. C’est ainsi que s’intitule le psaume n°110 en latin. Au IVe siècle, la Bible a été entièrement traduite en latin par un moine connu sous le nom de St Jérôme. Cette traduction est appelée la Vulgate.

Dans la version originale de l’Ancien Testament, en hébreu, les psaumes n’ont pas de titre. Ils sont numérotés de 1 à 150. Dans la Vulgate, ils ont un titre. Mais ce titre n’est pas choisi en fonction du sens du psaume ou du centre de son message. Chaque psaume porte simplement comme titre les 2 premiers mots du premier verset. « Dixit dominus », ainsi débute le psaume 110 psaume, ce qui signifie simplement : Le Seigneur dit…

Qu’est-ce qu’un psaume ?

Le Dixit dominus est un psaume. Des psaumes, il y en a 150 dans la Bible. Mais il en existe et en existait à l’époque beaucoup plus. Les psaumes ce sont des chants. Si les paroles sont parvenues jusqu’à nous, ce n’est pas le cas des mélodies. Nous n’avons aucune idée de comment ils étaient chantés. Ce que nous savons, c’est le que roi David était connu pour être un musicien hors pair. De nombreux psaumes, dont celui qui nous intéresse, lui sont attribués même si historiquement, on n’a pas de certitude qu’il soit à l’origine des paroles ou de la mélodie de beaucoup d’entre eux.

Des styles et des genres

Les psaumes que nous lisons aujourd’hui encore dans nos traductions de la bible sont des chants religieux. Il en existe plusieurs catégories.

Certains sont communautaires. Ce sont les hymnes. Ils permettent aux croyants d’exprimer par le chant la foi qui les unit. Aujourd’hui encore, nous faisons de même au culte en entonnant des cantiques. D’autres sont conçus pour la piété personnelle, plus intimistes. Il y a aussi les chants de pèlerinage qui accompagnaient les croyants en chemin pour Jérusalem.

On sait aussi la force du chant pour l’apprentissage et la transmission. Ainsi les psaumes étaient des vecteurs formidables de la foi. En famille et en communauté, on se familiarise à la musique avant même de mettre du sens sur les mots que l’on prononce.

Tous ne sont pas des chants de louange ou de réjouissance, bien au contraire. La musique permet aussi d’exprimer des sentiments plus rudes et l’on trouve par exemple dans certains psaumes l’expression de la révolte contre un Dieu qui semble abandonner le croyant aux vicissitudes du mondes ou aux mains de son ennemi. On pense ici au psaume 22 que Jésus aurait prononcé sur la croix « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? »

Des poèmes

Les psaumes sont des textes poétiques construits sur la métrique de la musique. On perd largement cette dimension poétique et musicale du mots dans nos bibles puisque nous n’en avons plus que les textes et qu’avec la traduction nous perdons quelque chose de la poésie et du phrasé originel.

De plus, les règles de la poésie hébraïque n’ont pas grand-chose à voir avec les nôtres. Par exemple, certains psaumes sont construits comme des acrostiches, chaque strophe débutant par une lettre de l’alphabet. Rares sont les traductions qui sont fidèles à cette contrainte.

A noter aussi qu’un des critères de qualité de la poésie hébraïque est le fait de redire plusieurs fois la même chose en le formulant un peu différemment. En français, on trouve ça plutôt lourd et redondant mais en hébreu, c’est une marque de qualité. C’est la raison pour laquelle on trouve souvent deux versets suivis qui expriment la même idée.

Voilà quelques éléments qui nous aident parfois à mieux comprendre ces textes dont nous nous trouvons aujourd’hui si éloignés, temporellement et culturellement.

Un recueil de chants pour toutes les circonstances

Le livre des psaumes constitue une sorte de recueil de chants pour toutes les circonstances. Ils disent quelque chose des réalités et des préoccupations de leur époque. Certains thèmes traversent les temps et les lieux : la vie, la mort, la souffrance, la joie, la fête. D’autres nous parlent moins. C’est sans doute un peu le cas de ce psaume 110.

Notre Dixit dominus fait partie des quelques psaumes dits royaux qui glorifient Dieu comme le roi des rois et célèbrent le roi du pays comme le représentant que Dieu a choisi pour régner sur son peuple.

Le petit David contre les Goliaths

Les circonstances géopolitiques actuelles rendent les choses délicates. Pour que mes propos ne soient pas mal interprétés, je tiens à préciser que ce que je vais dire du royaume d’Israël concerne l’époque du psaume et pas l’État politique contemporain.

Le royaume d’Israël était un petit royaume. Entouré de voisins beaucoup plus puissants. Le peuple d’Israël était le seul à confesser un Dieu unique alors que toutes les puissances alentours adoraient de multiples divinités. Et non seulement pour Israël, son Dieu était unique mais il était le seul et vrai Dieu. Le petit Israël osait donc dire à ses grands voisins : vos dieux ne sont rien, ce ne sont que des idoles. L’unique et seul vrai Dieu, c’est le nôtre.

Les rois d’Israël ont trouvé leur force dans cette foi et dans la conviction que ce Dieu ne les abandonnerait pas aux mains des puissances ennemies. Dans le Proche Orient ancien, Israël était le petit David encerclé de Goliaths. On comprend peut-être mieux le ton guerrier et hargneux du psaume, et ce besoin d’ancrer sa foi et son courage dans la conviction que Dieu lui-même combattra pour eux et à leurs côtés.

Roi et prêtre

Qui est ce Melchisedek? C’est un personnage dont on ne sait pas grand-chose. Il est nommé dans le Genèse :

Melkisédec, qui était roi de Salem et prêtre du Dieu Très-Haut, apporta du pain et du vin. Il bénit Abram en disant : Béni soit Abram par le Dieu Très-Haut qui a créé le ciel et la terre! Loué soit le Dieu Très-Haut qui a livré tes ennemis en ton pouvoir!

Genèse 14,18-19 (traduction Français courant)

Son nom signifie roi de justice (en hébreu, melek = roi et zaked = justice). La tradition a fait de lui la figure de l’homme qui a été à la fois roi et prêtre.

Reprises du psaume 110

Le psaume 110 est celui qui est cité à de plus nombreuses reprises dans le Nouveau Testament. A l’époque de Jésus, on a fait une lecture dite messianique de ce psaume. C’est à dire qu’on a vu dans ce roi qui siège à la droite de Dieu, qui règne et protège des ennemis, la figure du Christ. On peut bien évidemment saisir aussi l’allusion de Melchisedek qui est le roi et prêtre qui apporte du pain et du vin.

Ce psaume a aussi servi de colonne vertébrale à l’épître aux Hébreux que l’on retrouve dans le Nouveau Testament. L’identification du Christ au roi du psaume y est très claire.

Dans la liturgie catholique, ce psaume revêt également une importance particulière. Il est chanté dans l’office des vêpres du dimanche soir. Il a donc été mis en musique par de nombreux compositeurs pour cet office.

En conclusion

Il est intéressant de voir qu’un texte peut à certaines époques résonner de manière très forte en fonction de ce qui est vécu et qu’en d’autres temps, il est plus difficile de le mettre en lien avec notre réalité.

Au début du christianisme, ce psaume royal a fait écho de manière très forte. Et plus tard encore, puisqu’à la Réforme, Martin Luther tient ce texte en très haute estime. Il en dit ceci : « Rien dans les Écritures n’est comparable à ce psaume. Il est bon de le considérer comme le plus noble pour renforcer la foi chrétienne. Car nulle part ailleurs le Christ n’y est présenté avec des mots aussi lumineux … comme prêtre et prêtre éternel. » (cité dans Des psaumes à distiller, p.383). Il en a également dit ceci : « Ce psaume est terrible pour les tyrans qui prennent le pouvoir sans être appelés par Dieu, mais réconfortant pour ceux qui sont opprimés et qui souffrent de violence. »

Psaume 110

Pour terminer, voici quelques traductions françaises du psaume 110 qui nous permettent d’en découvrir certaines subtilités grâce au travail des traducteurs. Certains ont cherché à donner priorité à la dimension poétique, d’autres à la fidélité aux mots, d’autres encore tentent une actualisation.

Bible en français courant

Une traduction qui se veut à la fois fidèle au texte original et rendu en une langue accessible.

Psaume appartenant au recueil de David.

Déclaration du Seigneur Dieu à mon Seigneur le roi :
« Viens siéger à ma droite,
je veux contraindre tes ennemis à te servir de marchepied. »
Depuis le temple de Sion,
que le Seigneur étende au loin ton pouvoir !
Et toi, maîtrise les ennemis qui t’entourent.
Les hommes d’élite t’accompagnent
en ce jour où tu rassembles ton armée.
Sur les montagnes de Dieu,
tes jeunes gens viennent à toi,
comme la rosée née de l’aurore.
Le Seigneur a fait ce serment, il ne s’en dédira pas :
« Tu es prêtre pour toujours, dans la tradition de Melkisédec. »
Le Seigneur est à tes côtés.
Au jour de sa colère, il écrase des rois,
il exerce son jugement sur les nations,
tout est plein de cadavres,
il écrase les chefs sur toute l’étendue du pays.
En chemin, le roi va boire au ruisseau,
après quoi il relève la tête.

La bible nouvelle traduction Bayard

Le travail de traduction de cette bible est le fruit de la collaboration entre des théologiens et des écrivains.
Pour désigner Dieu, cette traduction utilise le tétragramme Yhwh lorsque le texte nomme le Dieu d’Israël et Adonaï pour le mot que nous traduisons habituellement par « seigneur ».

Psaume
de David

Oracle de Yhwh à Adonaï

Siège à ma droite
jusqu’à ce que je réduise tes ennemis

Escabeau à tes pieds

Yhwh enverra de Sion le sceptre de ta force
allez domine tes ennemis

Ton peuple sera généreux le jour de la guerre

Dans la splendeur sainte
au centre de l’aurore

Il est la rosée de ta jeunesse

Yhwh l’a juré
non il ne changera pas

Tu seras prêtre pour toujours selon le principe de Mechisédech

Le jour de sa colère
Adonaï à ta droite brise les rois

Il condamne les autres peuples
il entasse les cadavres

Il brise des têtes sur la terre immense

En route
il boit dans les torrents

C’est pourquoi il relève la tête

Les psaumes tels que je les prie

La traduction par le pasteur Christian Vez dans son ouvrage Les psaumes tels que je les prie.

Voici ce que Dieu déclare à celui qui me sauve: « Assieds-toi à ma droite! Laisse-moi faire de tes ennemis ton marchepied! »
Que notre Dieu déploie la force de sa présence!
Et qu’elle dissipe ceux qui t’en veulent comme le soleil dissipe les ténèbres! Tu es entouré de personnes qui se laissent galvaniser par ton courage. Dès le matin, tu parais frais et dispos, nimbé de la présence divine. C’est Dieu lui-même qui l’a promis, et il ne changera pas d’avis. Il te l’a dit: « Toi seul serviras d’intermédiaire entre moi et mon peuple. »
Puisque tu as la faveur de Dieu, rien ni personne ne saurait te résister. C’est ainsi que l’élu de Dieu se désaltère et continue son chemin tête haute.