Force et fragilité

Message des Églises tenu lors des célébrations du 1er août 2025 de la Commune de Milvignes, à Auvernier

Chères concitoyennes, chers concitoyens,
chers frères et sœurs en humanité,

Les vacances sont parfois l’occasion de séjourner dans un chalet ou un appartement de famille où l’on a passé nos étés d’enfance. Au fond des armoires, on y retrouve des objets, des jouets et des livres qui éveillent bien des souvenirs. Je me souviens des illustrations de l’album grand format qui me faisaient trembler lorsque le grand méchant loup soufflait sur la maison de paille de l’imprudent petit cochon.

En grandissant, j’ai découvert dans la Bible des paroles de Jésus qui s’apparentaient au conte des trois petits cochons.

L’insensé construit sa maison sur le sable alors que celui qui écoute la parole de Dieu et la met en pratique construit sur le roc.

évangile de Matthieu, chapitre 7

En Suisse, on est de nature prudents. Nous sommes les champions de la prévoyance et nous préférons ne pas prendre trop de risque : ceinture et bretelles! Ce qui fait le bonheur… et le beurre des assurances. Parmi les trois petits cochons, le cochon suisse est celui qui construit la maison de briques, sans aucun doute. Construire sur le roc. Nous sommes de ceux-là.

Mais un événement est venu ébranler mes certitudes ce printemps. Le 28 mai dernier, le glacier du Birch s’est effondré, engloutissant en un instant le village de Blatten. Et réduisant la vallée en un tas de graviers. Qu’existe-t-il encore de solide dans le monde si les montagnes elles-mêmes cèdent? Qu’y a-t-il de résistant si les rochers deviennent poussière? Sur quoi peut-on encore compter si même nos Alpes s’effritent? Est-il encore possible de construire sur le roc? D’établir des certitudes? De fonder nos existences sur quelque chose de solide?

Nous vivons dans un monde fragile et fragilisé. Des instabilités géologiques : le séisme de mardi au large de la péninsule du Kamtchaka en est le dernier exemple… Des instabilités politiques (je vous épargne les exemples mais vous comme moi en lisons les échos tous les jours dans les médias). Des instabilités économiques: le sort de nos entreprises est suspendu à la plume signeuse de décrets d’un homme qui souffle le chaud et le froid sur les taux d’intérêts. Mais aussi instabilités sociales, migratoires et j’en passe.

Nous vivons dans un monde instable. Et la Suisse n’est pas épargnée. Dans ce contexte fragilisé, il n’est pas aisé de trouver des repères, de nous ancrer dans des bases fiables.

Je lève les yeux vers les montagnes et m’écrie : d’où me viendra le secours ?

Psaume 121

Quand on ne voit plus ici-bas sur quel sol poser un pied sûr, le réflexe est de lever le regard vers le ciel. Pour les chrétiennes et les chrétiens que je représente aujourd’hui en m’adressant à vous au nom des Églises, le secours, le point d’appui, la valeur sûre, c’est Dieu. Encore faut-il aller un peu plus loin et construire une véritable relation de confiance avec ce Dieu pour qu’il ne soit pas une simple échappatoire ou une mince consolation. Pour d’autres personnes, ce sera d’autres divinités : Vishnu, Allah, Yahvé,… Ou de concepts: l’univers, la nature, les énergies.

Chacun, chacune d’entre nous s’est construit son système de croyances, nourri des traditions dont nous avons hérité, de nos ouvertures à d’autres spiritualités et de personnalités propres.

Nous avons la chance de vivre dans un pays qui défend la liberté de croyances. Ce droit, comme tout droit, n’est pas acquis et il convient toujours de le défendre. Ainsi, mes propos ne tiennent pas tant à vous rallier à ma cause ou à vous convaincre que la foi dont je me fais témoin est la seule et la bonne, mais de vous encourager toutes et tous à prendre soin de votre spiritualité. A entretenir votre système de croyances, à réfléchir à vos valeurs, à ce sur quoi vous construisez votre vie, vos convictions, votre espérance.

Dans le monde fragile dans lequel nous vivons, il n’est plus possible de croire en l’être humain seulement. Ceux qui ne regardent qu’au pouvoir et à la puissance se déshumanisent de cynisme et commettent les pires atrocités. Les autres se découragent et perdent les forces qui sont indispensables à la résistance contre la barbarie.

Dans notre monde fragile, dans notre belle Suisse, dans nos vies, il est indispensable de placer sa confiance à l’extérieur de soi. Pour retrouver de l’élan, de l’espérance. La foi que le monde de demain sera plus beau encore que celui d’aujourd’hui. Et pour ce faire, nous avons toutes et tous notre rôle à jouer.

Chères concitoyennes, chers concitoyens, armons-nous dès à présents de truelles et de niveaux, afin de construire ensemble, en briques, le monde et la Suisse de demain. Et dès ce soir, rêvons à ce que nous bâtirons ensemble sur des bases solides en célébrant avec cœur notre fête nationale.

Merci de votre écoute et joyeuse soirée patriotique.

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