Une vague de bénédictions

Prédication du dimanche 28 janvier 2024 à Bôle
Textes bibliques: Ésaïe 48,17-20 et Éphésiens 4,7 puis 4,11-16

Au bord de la mer

C’est à la plage que nous invite la Bible ce matin. Bien loin de notre janvier helvétique, nous voici en bord de mer. Pieds nus dans le sable, faisons un pas en avant et laissons les vagues venir nous frapper à hauteur de cheville. Ça sent bon l’air chargé d’iode quand on écoute ces paroles du prophète Ésaïe:

Un fleuve de bénédictions coule vers toi.
Le salut vient à toi comme les vagues de la mer.
Tes descendants seront nombreux comme les grains de sable sur la plage.

L’eau maintenant se retire et les grains de sable viennent nous chatouiller entre les orteils. Restons là encore un instant. Attendons que vienne à nous la vague suivante, qu’à nouveau les bénédictions de Dieu se déversent jusqu’à nos pieds!

Une vague, des flots qui viennent à nous. Voici l’image que choisit le prophète pour évoquer les bénédictions de Dieu. Nul besoin de leur courir après, de chercher à les provoquer, elles sont là. Encore faut-il accepter de se tenir un temps debout, s’arrêter de courir. Se tenir là, prêts à écouter, sentir, accueillir. Pieds dénudés, vulnérables. Et les laisser couler jusqu’à nous.

Maintes fois dans le livre d’Ésaïe, est rapportée l’incompréhension voire l’incrédulité de Dieu vis-à-vis de l’incapacité humaine à accueillir le bénédiction qu’il lui destine. Tout est là. Je te donne tout. Tu n’as qu’à recevoir. Et voilà que tu n’accueilles pas, que tu tournes le dos, que tu préfères ignorer. Pensez un instant combien Dieu doit être abasourdi!

Debout sur le plage, une nouvelle vague vient de submerger nos pieds. Après un bref instant comme en suspension, l’eau repart dans l’autre sens. La vague se retire et ce faisant, elle exerce une force sur nos chevilles. Pour rester debout, il faut exercer une certaine résistance. Puis voilà que l’eau n’est plus là. On pose notre regard sur nos pieds, désormais entourés de sable humide. Ils se sont légèrement enfoncés, la vague les a enracinés dans le sol. Voilà que nous avons gagné en stabilité.

Cette vague de bénédictions qui enracine, qui ancre dans le sol: voilà l’image que nous propose Ésaïe.

Il y a vague et vague

Bien plus tard, l’auteur de l’épître aux Éphésiens utilise lui aussi l’image de la vague mais bien différemment. Il évoque la vague qui emporte, qui ballotte, dans laquelle l’être humain perd toute maîtrise, toute orientation, toute capacité à nager. Ce n’est plus une vague de bénédictions, mais une vague de paroles, de pensées, de ruses et de tromperies. Comme des enfants emportés par ces vagues, poussés ça et là, entraînés dans l’erreur. C’est un océan de paroles, de vérités assénées, de fake news, de populisme,… dans lequel il est si difficile de ne pas se laisser emporter, chahuter, malmener.

La vocation du croyant·e, selon l’auteur de l’épitre aux Éphésiens, c’est de devenir adulte. Un adulte qui sait nager. Mais nous aimons bien rester de grands enfants, voire d’éternels ados…

L’épitre aux Éphésiens nous emmène dans l’époque très intéressante des premiers temps de l’Église. On n’est plus dans les tout débuts du christianisme, où il s’agissait de faire connaître le message du Christ avec une certaine urgence. La première génération avait la conviction que le Christ ressuscité allait revenir tout bientôt et que le monde touchait à sa fin. Il convenait donc de faire connaître au plus grand nombre la Bonne Nouvelle. Mais la fin du monde n’est pas advenue. En tout cas pas dans un délai aussi bref que l’attendaient les premiers chrétiens. La grande question de la génération suivante est n’est plus celle de l’urgence mais : comment faire pour tenir dans la durée.

C’est de cette époque que date l’épître aux Éphésiens. Écrite par un collaborateur de l’apôtre Paul après la mort de celui-ci. Et destinée à la communauté d’Éphèse mais pas seulement. C’est une lettre circulaire qui a sans doute été envoyée à plusieurs communautés pour les aider à consolider leur Église.

Comme Paul, l’auteur utilise l’image des parties du corps pour évoquer l’Église. Le Christ en est la tête et chaque membre est à sa place, occupe sa fonction, agit selon son être, son charisme, ses compétences et ses qualités pour le bien et l’épanouissement du tout. Mais il ajoute une image, celle des jointures. Les articulations. Dans la conception antique, c’étaient les jointures qui transmettaient l’énergie aux membres. Toutes les parties du corps, solidement attachées et unies par les jointures ont pour vocation de grandir ensemble.

Appelés à devenir adultes

C’est l’image de l’Église, de la communauté humaine attaché à la foi en Jésus-Christ. Cette communauté qui doit croître mais qui doit surtout mûrir, devenir adulte. Les pieds ancrés pour ne plus être ballottée de ci de là.

« En proclamant la vérité avec amour, nous grandirons en tout vers le Christ, qui est la tête ». La question de la vérité est toujours délicate. En particulier dans le domaine religieux. Des vérités, il y en a pléthore. Et l’on sait les dégâts que cela fait lorsqu’elles sont assenées unilatéralement. Les vérités absolues détruisent. Elles tuent. Mais ne rien affirmer fait aussi des dégâts. Le relativisme absolu ne permet pas de construire une pensée, de distinguer entre le bien et le mal. Les gens qui grandissent sans repères, sans vérité, ne sont pas des êtres libres. L’enjeu de la vérité réside dans le terme qui suit : proclamer la vérité avec amour.

Il est important d’avoir un système de valeurs, de croire en une vérité car tout ne se vaut pas. Toutes les idées ne se valent pas et il est inadéquat d’accepter que des propos racistes ou discriminatoires aient la même valeur que des propos qui élèvent. Et si il est bon et important d’affirmer sa vérité, pour se construire et définir qui nous sommes, celle-ci doit être affirmée dans le respect de la liberté de l’autre d’adhérer ou non.

Si la vérité manque d’amour, elle est violente.
Si l’amour manque de vérité, il est fragile.

Comment faire pour durer ? Là est la préoccupation de l’auteur de l’épitre et celle de ses destinataires. En devenant adultes dans la foi. Telle est la vocation du croyant.

Un adulte conforme à son humanité. Qui ose se confronter à la rudesse de l’existence. Qui est capable d’assumer des responsabilités. Un être dans le monde mais relié à Dieu dans la grâce et aux autres dans l’amour. Un être appelé à prendre sa part au service du Christ. Un homme, une femme, debout. Les pieds ancrés dans le sable du monde et qui se laisse caresser les jambes par les bénédictions de Dieu, douces et salées.

Amen