Prédication du dimanche 1er février 2015
Textes bibliques : Psaume 8 et Matthieu 19,13-15 (disponibles en bas de page)
La nuit révèle
La nuit, tout est différent.
Tout ce qui fait partie de notre réalité le jour disparaît dans l’obscurité. Le noir submerge tout ce qui est proche. Et alors se révèle à nos yeux l’infinie grandeur des cieux. Le firmament si lointain devient soudain ce sur quoi nos yeux se posent. Et l’on prend conscience de cette immensité qui nous entoure. C’est en contemplant ce firmament,dans l’obscurité de la nuit de Jérusalem, que le psalmiste, peut-être le roi David lui-même, prononce les paroles de ce psaume. Nous ne connaissons plus aujourd’hui la noirceur de la nuit d’alors. Nous en avons perdu l’intensité. Les amateurs d’astronomie regrettent l’éclairage généralisé de nos villes qui rend l’observation du ciel difficile. Du temps de David, la nuit, Jérusalem est plongée dans une obscurité profonde. Rendant l’homme plus vulnérable. Sujet à l’attaque possible d’un adversaire dissimulé dans le noir ou d’un animal sauvage. La nuit, l’homme est plus fragile.
La nuit, tout est différent.
Et même, la conscience de nous-mêmes n’est pas pareille. Alors que le jour on s’active, on fait, on produit, on agit, on domine notre emploi du temps et le monde.
La nuit, elle, nous domine. Le temps n’est plus le même. Les minutes s’égrainent avec lenteur, au grand dam des insomniaques. La nuit nous invite à la méditation et à la contemplation.
La contemplation devient louange
En contemplant le ciel étoilé, la louange monte aux lèvres de David. Seigneur, que ton nom est magnifique ! Les cieux et la terre chantent ta splendeur !
On trouve chez beaucoup de nos contemporains quelque chose de proche de cette louange. Une théologie naturelle qui s’exprime parfois par des affirmations telles que : quand je vois la beauté de la nature, je me dis qu’il doit bien y avoir un Dieu derrière tout cela ! Mais le psaume ne s’arrête pas à cette seule constatation dont, il faut bien le reconnaître, beaucoup de gens ne font pas grand-chose. De cet émerveillement naît un questionnement : et moi là au milieu ?!? Qu’est-ce que l’être humain dans cette immensité ? Une question générale qui se décline au particulier : qu’est-ce que ma petite personne a d’assez important pour que Dieu s’en préoccupe ? L’immensité des cieux révèle en contraste notre infinie petitesse.
Au cœur de cette création, nous ne sommes qu’un grain de sable insignifiant.
Et pourtant…
La Création : une bulle pour la vie
Il me faut ici ouvrir une parenthèse. Savez-vous comment on se représentait le monde à l’époque ? La terre n’était pas ronde. Faire un dessin pendant les explications ressemblant à l’illustration ci-contre (dont je ne connais pas la source).
La terre était un grand plateau, posé sur des piliers qui la soutenait émergée des eaux du bas. Au-dessus, Dieu avait écarté les eaux du haut en formant une sorte de bulle : la voûte céleste. A celle-ci, le Dieu créateur a suspendu des astres. Dieu a créé un monde où la vie est possible. Un espace protégé, préservé des eaux du chaos. En rentrant chez vous, relisez le récit de la Création au premier chapitre de la Genèse, en ayant ce dessin en tête. Vous redécouvrirez la beauté de ce poème extraordinaire.
Aussi bien dans le texte de la Genèse que dans notre Psaume de ce matin, nous retrouvons cette affirmation. Au centre de cette création, de cette incroyable œuvre d’art, Dieu a choisi de mettre l’homme. Eh oui, nous qui nous sentons si petits dans cette immensité. Si négligeables dans l’œuvre qu’est le monde créé par Dieu. Nous sommes si importants pour Dieu qu’il nous donne une place de choix dans sa création. Dans plusieurs religions non-isréalites d’alors, le Soleil, la lune et les étoiles sont des divinités. Mais dans la foi biblique, il n’y a qu’un seul Dieu, et il est le créateur de tout, y compris du soleil, de la lune et des étoiles. Ces entités que d’autres vénèrent sont ramenées ici au statut d’objets. Objets majestueux mais objets tout de même. Des luminaires suspendus au plafond du ciel par le Créateur.
Suivant leur route et ordonnant ainsi le temps, les jours et les nuits, les saisons et les fêtes.
L’amour du Créateur pour sa Création… et pour sa Créature préférée
J’aime cette image du Créateur. Artisan minutieux, artiste, qui crée avec soin et avec amour ce monde où la vie se déploie. On est très éloigné de ces images d’un Dieu lointain, indifférent à ce qui se passe sur terre. Un soi-disant créateur qui aurait tout façonné une fois pour toutes et qui laisserait le monde se gérer seul. Comme s’il s’en désintéressait. Le Dieu auquel s’adresse la louange de ce psaume est le Créateur qui aime sa création. Qui la protège des eaux du haut et des eaux du bas qui pourraient à tout moment le submerger. Et qui la regarde avec amour.
Et là au milieu: l’homme. Tu en as fait presque un dieu dit le psaume. De lui, le tout petit, le minuscule. Presque un dieu ?!? L’audace de ce verset ne laisse pas indifférent. Sommes-nous vraiment presque l’égal de Dieu ? Ce verset dérange tellement que certaines de nos traductions l’atténuent. Vous trouverez peut-être dans vos Bibles une version reprise de la traduction grecque de l’Ancien Testament : tu l’as fait presque l’égal des anges. Mais le psaume ose ! Presque l’égal de Dieu ! Et c’est vrai.
On ne peut pas le nier, l’homme domine le monde. Son pouvoir est immense.
L’homme a domestiqué les espèces animales et les espèces demeurées sauvages, il les garde en captivité.
L’homme comprend le fonctionnement du corps humain et parvient même à maîtriser la procréation.
L’homme repousse les limites de la maladie et parfois même de la mort.
L’homme domine l’agriculture, le transport sur terre, sur l’eau et même dans les cieux.
L’homme domine.
En vérité, il occupe sa place prépondérante au cœur de la création. L’être humain vit concrètement selon l’idée que le monde a été créé pour lui. Avec toutes les conséquences que l’on connaît. Car il semble que l’homme ait profondément tendance à systématiquement opprimer ce qu’il domine. Dieu l’a fait presque à son égal, il est la seule créature façonnée à l’image du créateur. Dieu a choisi de confier à l’homme la responsabilité de sa création. Inutile de nous étaler sur la question : vous et moi savons que l’homme en général n’a pas été et n’est pas, aujourd’hui encore, à la hauteur de cette responsabilité. Mais l’homme en général ne m’intéresse pas et ce n’est pas lui que Dieu aime. Il crée et il aime des individus.
Vous et moi.
Alors la question nous est adressée : es-tu à la hauteur de cette tâche ?
Toi que Dieu a tant aimé qu’il t’a placé au cœur de sa création ?
Toi à qui il a confié la domination sur la terre ? Qu’en fais-tu ?
Toi dont il a fait presque son égal ?
Soudain, ce pouvoir, cette grandeur, nous donne le vertige. Alors qu’il y a quelques minutes encore nous nous sentions si minuscules, voilà que tout à coup, nous prenons conscience de notre immense pouvoir.
L’inconfort du paradoxe
C’est bien dans ce perpétuel mouvement du petit au grand et du grand au petit que se situe notre place. Dans cette dialectique de l’insignifiant et du puissant. A la fois infime et fort. A la fois perdu dans l’immensité de ce qu’il y aurait à faire et porté par les forces que Dieu nous donne. Nous ne répondons à notre vocation de créature que si nous sommes les deux à la fois. Quand nous oublions que c’est Dieu qui nous a confié la domination sur sa création, nous l’opprimons et la détruisons. Quand nous oublions que nous ne sommes pas grand-chose à l’échelle du monde, nous nous illusionnons. La vocation d’être humain n’est pas, et ne doit pas être, confortable. Puisque nous ne devrions jamais nous installer dans une position. Nous devrions être dans ce perpétuel mouvement : conscient simultanément de notre grandeur et de notre petitesse.
La force dans la faiblesse
Ne croyons pas que notre petitesse est synonyme de faiblesse. « Par la bouche des tout-petits et des nourrissons, tu as fondé une forteresse contre tes adversaires, pour réduire au silence l’ennemi revanchard. » dit le psalmiste. Il y a 10 jours, nous avons étudié ce psaume lors d’une rencontre d’étude biblique avec certains d’entre vous. Et ce verset a fait écho à une expérience chez une des participante.
Elle voudra bien excuser mes imprécisions. Je raconte de mémoire.
C’était il y a quelques années dans un pays d’Afrique troublé par la guerre. Un matin, des rebelles font irruption dans un orphelinat. Ils ont l’intention de voler la voiture de l’institution. Ces soldats sont en réalités des jeunes garçons enrôlés dès leur adolescence dans les rangs des rebelles, orphelins eux aussi pour la plupart.
Les responsables de l’orphelinat voient l’hésitation de ces jeunes gens armés devant les visages des enfants et leur proposent un repas. Les rebelles mangent, puis jouent avec les enfants avant de repartir… sans le véhicule.
Une belle illustration de la force des petits. Une forteresse que Dieu a fondée pour réduire au silence l’ennemi. On n’aime pas beaucoup les textes bibliques où Dieu combat des ennemis. On préfère le gentil Dieu d’amour. Et assurément, en des temps où un certain extrémisme religieux bouleverse la planète, on préfère taire les textes de la Bible qui nous dérangent. Mais pourquoi identifierions-nous toujours l’ennemi à une personne. Les ennemis, ce n’étaient pas ces jeunes enrôlés chez les rebelles, mais la violence. L’ennemi, cela peut aussi être une force destructive : la haine, la peur, la cruauté. Croire que Dieu peut vaincre ces ennemis-là, qu’il peut les réduire au silence est indispensable! Vivre de l’espérance que les forces du chaos ne nous submergerons pas. Voilà notre foi.
Et ce n’est pas en imposant sa force que Dieu vaincra de cet ennemi. C’est par la voix des touts petits qu’il gagnera. Dans ce texte, aucun terme guerrier, aucun combat. Seule la Parole, assez puissante pour réduire le chaos au silence.
Les tout-petits. Ces enfants que l’on retrouve autour de Jésus dans cet épisode que nous raconte Matthieu. Ceux-là même pour qui le Royaume de Dieu est ouvert. On dit parfois qu’il faut savoir garder une âme d’enfant, rester un peu naïf ou spontané. Mais nous ne sommes pas appelés à une foi puérile ou infantilisante.
D’ailleurs le texte ne dit pas que nous devons rester des enfants, mais devenir comme eux. Il ne s’agit pas d’une régression, mais d’une progression. L’enfant, c’est celui qui est dépendant. Il ne se suffit pas à lui-même, il a besoin de l’autre.
Le Royaume de Dieu est à ceux qui reconnaissent qu’ils ne se suffisent pas à eux-mêmes. A ceux qui reconnaissent que si ils sont puissants, c’est parce que Dieu leur a donné cette posture sur le monde et que par conséquent, ils ont la responsabilité d’exercer leur puissance pour le bien.
Ainsi le psaume termine comme il avait commencé : par la louange et l’exclamation. Seigneur, que ton nom est magnifique sur toute la terre !
De même que le Créateur entoure toute sa Création.
De même le Seigneur est au début et à la fin de nos louanges.
De même, Dieu nous précède et sera là après nous.
Et c’est dans ce monde là, voulu, créé et aimé par Dieu, que nous prenons notre place et exerçons notre vocation humaine.
Amen
Après la prédication, un temps de silence et un morceau d’orgue, l’assemblée a chanté ce Psaume 8, mis en musique par Goudimel: Psaumes et Cantiques n°7.
Inspiration : fascicule des études bibliques par correspondance.
Merci aux participants de la rencontre de l’étude biblique autour du Psaume 8.
Voir aussi: les remarques de Marc Pernot sur ce Psaume.
Lectures bibliques (traduction TOB)
Psaume 8
1 Du chef de chœur, sur la guittith. Psaume de David.
2 SEIGNEUR, notre Seigneur,
Que ton nom est magnifique
par toute la terre !
Mieux que les cieux, elle chante ta splendeur !
3 Par la bouche des tout-petits et des nourrissons,
tu as fondé une forteresse
contre tes adversaires,
pour réduire au silence l’ennemi revanchard.
4 Quand je vois tes cieux, œuvre de tes doigts,
la lune et les étoiles que tu as fixées,
5qu’est donc l’homme pour que tu penses à lui,
l’être humain pour que tu t’en soucies ?
6 Tu en as presque fait un dieu :
tu le couronnes de gloire et d’éclat ;
7 tu le fais régner sur les œuvres de tes mains ;
tu as tout mis sous ses pieds :
8 tout bétail, gros ou petit,
et même les bêtes sauvages,
9 les oiseaux du ciel, les poissons de la mer,
tout ce qui court les sentiers des mers.
10 SEIGNEUR, notre Seigneur,
que ton nom est magnifique
par toute la terre !
Matthieu 19,13-15
13 Alors des gens lui amenèrent des enfants, pour qu’il leur imposât les mains en disant une prière. Mais les disciples les rabrouèrent. 14 Jésus dit : « Laissez faire ces enfants, ne les empêchez pas de venir à moi, car le Royaume des cieux est à ceux qui sont comme eux. » 15 Et, après leur avoir imposé les mains, il partit de là.