Prédication du dimanche 13 décembre 2015, 3e dimanche de l’Avent.
Textes bibliques: Philippiens 4,4-7 et Luc 3,10-18.
L’autre soir, le magazine Temps présent diffusait un reportage sur les conditions de vie des animaux dans deux zoos de Suisse. Entre autres choses, les soignants expliquaient qu’un des défis qui se présentaient devant eux était de faire en sorte que les animaux ne s’ennuient pas. En effet, dans la nature, un animal doit sans cesse développer un certaine créativité d’une part pour trouver de quoi se nourrir et d’autre part pour échapper à d’éventuels prédateurs. En captivité, les animaux n’ont ni prédateurs, ni besoin de trouver leur nourriture. Ils sont comme à l’hôtel. Mais cette situation ne correspond pas à leur nature et primates et autres félins risquent de s’ennuyer. Même les poulpes, paraît-il!
Ainsi, les soigneurs doivent être sans cesse attentifs aux signes d’un comportement inadéquat, indice de l’ennui. Ils rivalisent d’imagination pour créer artificiellement des obstacles à la trop évidente simplicité en cachant la nourriture des singes dans des sacs ou en donnant aux ours des fruits pris dans d’énormes glaçons. Cet ennui résultant d’un manque de situations dans lesquelles l’individu doit faire appel à sa créativité m’a beaucoup intriguée. Et il me semble que dans ce domaine, l’homme n’est pas bien différent de l’animal.
L’ennui…
Lorsque tout nous est donné, lorsque la vie se présente à nous avec tant de simplicité, nous nous installons dans un confort et une forme de torpeur spirituelle. Torpeur de laquelle il devient difficile de sortir. C’est l’ennui. En Suisse, nous vivons dans un confort à la foi matériel et social. Nous avons accès à ce que dont nous avons besoin pour vivre, accès à la nourriture, au chauffage, à l’eau courante. Et cela va au-delà de l’essentiel, nous avons également accès au superflu que nous désirons. – bien que, je le sais, la pauvreté existe aussi dans notre pays et les fins de mois ne sont pas simples pour tout le monde – En général, la Suisse vit plutôt dans l’opulence et donne cette image là.
Nous n’avons pas non plus à défendre notre mode de vie (par exemple, une femme peut travailler sans devoir se justifier), nos décisions professionnelles ou notre orientation sexuelle. Nous ne sommes pas non plus persécutés pour nos idées politiques ou religieuses. Nous n’avons pas à mener de combats au péril de notre vie. Cette liberté est un privilège et une richesse immense.
Mais cela nous semble parfois si normal que nous nous assoupissons dans une forme d’ennui. Nous oublions de faire appel à notre créativité, d’imaginer des solutions pour nos vies, de tenir notre pensée en éveil. Nous nous ennuyons d’être libres…
Dans ce contexte, nous avons probablement moins besoin de réponses que de nous poser encore des questions. Nous n’avons pas à échapper à des prédateurs ni à chasser nos repas. Pour maintenir notre esprit en éveil, nous devons renouveler nos questionnements éthiques et existentiels, afin d’éviter l’ennui mortifère. Que devons-nous faire ?…
Une réponse?!
Que devons-nous faire ? C’est la questions que les interlocuteurs de Jean-Baptiste lui ont posée. Interpellés par l’appel à la conversion, disposés à mettre en œuvre un changement radical dans leur vie, témoignant de cette conversion par le baptême, les hommes qui suivent Jean-Baptiste jusque dans le désert ont répondu à son appel. Ils l’ont suivi et attendent du prophète qu’il leur dise encore ce qui est attendu d’eux. Que devons-nous faire ?… Mais Jean-Baptiste ne donne pas une réponse, il en donne trois.
Aux premiers, ils prône le partage des biens. Celui qui a deux chemises doit en donner un à celui qui n’en n’a pas. Et la nourriture doit être partagée. Il ne demande ni aux uns de mendier ni aux autres de se mettre à nu. Simplement que les richesses soient partagées pour le bien de chacun. Lorsque l’on sait qu’en 2016, la moitié des richesses mondiales sera possédée par les 1% les plus riches, on se dit que l’idée du partage des biens a encore du chemin à faire. Et que cette réponse dépasse de loin les bonnes intentions de générosité et de bonne conscience: le partage des biens est un défi réel qui devrait mobiliser notre imagination pour esquisser des pistes concrètes.
Aux collecteurs d’impôts, considérés comme des collabos puisqu’ils font partie du peuple juif mais prélèvent les impôts pour les Romains, à ceux-ci, Jean-Baptiste ne demande pas de renoncer à leur activité. Mais de l’exercer au plus près de la justice. Au moins, qu’ils ne s’enrichissent pas personnellement sur le dos de leurs concitoyens, par la tromperie. On ne peut pas toujours agir parfaitement, il y a des situations où nous devons faire des concessions et nous en faisons tous. Mais qu’au moins, nous n’en profitions pas des ces situations limites pour accentuer les inégalités.
Et aux soldats, il demande de n’être ni violents, ni cupides. Pas si simple, assurément, quand on s’engage dans une armée, de renoncer à la violence.
Trois types de personnages, trois situations et trois réponses circonstanciées. Toujours dans un même esprit que l’on pourrait résumer avec les mots « justice, fraternité, partage ». Ce même esprit demande des réponses toujours renouvelées.
Toujours à inventer
L’évangile ne nous donne pas le mode d’emploi, les réponses toutes faites et les règles à appliquer pour être un bon chrétien. L’évangile ne nous autorise pas le sommeil de l’ennui. Il nous oblige toujours à la créativité et à l’imagination.
J’ai entendu dernièrement une personne dire qu’elle ne voulait rien avoir à faire avec la religion parce qu’elle ne voulait pas qu’on lui dise quoi faire et quoi penser. Cette personne avait, je pense, une très mauvaise compréhension de la foi chrétienne. Parce que justement, c’est bien ce qui en fait à la fois la richesse et la difficulté: il appartient toujours au croyant de faire appel à sa créativité pour chercher comment appliquer ses convictions à une situation de vie concrète.
Si les principes de justice, de fraternité et de partage sont posées. Leur application, elle, est toujours à inventer. A inventer et à incarner. A rendre concret dans notre vie, dans nos relations humaines, dans les choix qui nous faisons pour nous-mêmes et pour le monde. C’est ainsi que se vit réellement la joie dont parle Paul aux Philippiens. Pas dans la confortable captivité où tout est offert sur un plateau, mais dans la réelle confrontation aux enjeux du monde.
L’application de l’Évangile est toujours à réinventer. Pour soi et pour les autres. Nous sommes aussi cette voix qui crie dans le désert pour annoncer la venue du Christ. Dans notre monde zoo, cherchons toujours de nouvelles manières d’en témoigner.
Que l’esprit de Dieu éveille notre créativité!
Amen