Prédication du culte du 29 septembre 2019 au temple d’Auvernier.
Lectures bibliques: Amos 6,1-7 et Luc 16,19-31 (la parabole du riche et de Lazare).
C’est l’histoire d’un Valaisan qui meurt et se retrouve au ciel face à Saint-Pierre qui l’interroge sur sa vie. Un peu intimidé, l’homme bafouille : Toute ma vie, j’ai été pro… pro… producteur d’abricotine.
– Ah j’ai eu peur, répond St-Pierre, j’ai cru que tu allais dire protestant !
Des blagues comme celle-ci, il en existe des tas. La plupart du temps, elles me font sourire sur le moment mais je ne les retiens pas. Avec la parabole du riche et de Lazare, l’évangéliste Luc nous emmène dans un registre inhabituel: Jésus se mettrait-il à raconter des witz ?!?
Et à vrai dire, il n’y a pas de quoi rire. Parce que si je comprends bien l’idée du renversement des valeurs, plus on en bave ici, plus on sera heureux dans l’au-delà. Alors moi qui ai franchement une belle vie ici-bas, j’ai du souci à me faire. Mais tout cela, en vérité, est bien loin de l’idée que je me fais de l’Évangile.
Cette image presque tirée d’un dessin animé avec le monde des morts scindé en deux: les moelleux nuages blancs de l’un, les flammes éternelles de l’autre, est assez répandue dans l’imagerie collective mais pas du tout dans la Bible. Ce récit et l’un des seuls qui évoque ces représentations.
On est ici dans la fable, dans l’imaginaire et dans l’excès.
L’homme riche n’est pas juste riche. Il est outrageusement riche. Il se pare des plus belles étoffes et se vautre dans ses richesse. Il mange et mange encore. Littéralement il fait bombance chaque jour somptueusement. Ce riche est une caricature digne de Gargantua.
Le pauvre aussi est une caricature. Il est repoussant et ne suscite que dégoût avec ses plaies suintantes, jeté sur le porche du riche. Même pas digne de se nourrir de ce qui tomberait de la table. C’est lui qui devient la nourriture des chiens.
Mais, premier retournement des valeurs : ce pauvre a un nom, il s’appelle Lazare (ou Eléazar) ce qui signifie Dieu aide. On a un peu l’impression que Dieu a oublié de l’aider, celui-là… à moins qu’il ne l’ait fait naître tout près d’un homme très riche?!?
Habituellement ce sont les riches qui sont quelqu’un et les pauvres sont anonymes. Ici, le riche n’a pas de nom. Le riche est n’importe quel riche. Mais le nom de Lazare, lui, est inscrit dans le cœur de Dieu.
Les deux hommes meurent.
La mort est finalement l’événement par excellence devant lequel nous sommes tous égaux. Que l’on soit riche ou pauvre, puissant ou oppressé, nous finirons tous à faire face à la grande faucheuse.
Tous les deux meurent, mais leur trépas ne nous est pas raconté de manière identique. Le pauvre est porté par les anges sur le sein d’Abraham. Voilà une expression inhabituelle! Et dont on ne sait pas grand-chose de plus, sauf que dans le monde de l’Ancien Testament est donnée la promesse qu’Abraham le père des croyants accueillera les justes.
Le riche lui, est enterré. Point.
Le premier est porté vers le ciel, le second enseveli dans la tombe. Contraste saisissant.
On les retrouve tous deux dans le séjour des morts où le riche est en proie aux tourments. Lui qui passait sa vie dans la débauche et la fête connaît soudain des temps moins propices: il souffre beaucoup nous dit le texte.
De loin, il voit Abraham et Lazare. C’est la première fois qu’il VOIT Lazare. Quand il était couché sur les marches de son palais, il ne le voyait pas…
Et le riche l’interpelle. Mais ce n’est pas à Lazare qu’il parle. Non, il parle à Abraham. Parce que même avec les flammes qui lui lèchent les pieds, le riche s’adresse à celui qu’il pense être son vis-à-vis : Abraham. Il ne s’abaisse pas à s’adresser au pauvre bougre.
Quel toupet quand même !
Même en train de rôtir, il demande encore. Il exige même. Et considère Lazare comme son larbin.
Que demande-t-il à Abraham ? D’envoyer Lazare pour qu’il le rafraîchisse.
Le riche demande de la compassion alors que lui-même n’en n’a jamais eu une once de son vivant. Et en plus il demande que ce soit Lazare lui-même qui vienne l’aider. Nouveau retournement : dans l’autre monde, c’est le riche qui a besoin du pauvre.
Mais même dans cette situation, le riche persiste dans son attitude hautaine. Il en devient d’autant plus ridicule. Rien ne rend ce riche sympathique à nos yeux. Abraham répond par le retournement des valeurs: maintenant est venu pour Lazare le temps de la consolation! et évoque l’abîme qui les sépare désormais et qui n’est pas différent de celui qui les séparait déjà. Sauf qu’auparavant, le riche n’avait aucun intérêt ni aucune volonté à restreindre cet abîme.
Il y a un gouffre. Quelque chose d’irréparable, de brisé. Et même la bienveillance d’Abraham ne suffirait pas à l’effacer. On est ici dans la parabole, dans la fable. Dans les images. Pas dans la description de ce qu’est l’au-delà mais dans l’évocation d’une certaines idée de la justice sociale à laquelle le Christ cherche à nous ouvrir les yeux. Il y a des ruptures, des injustices, des humiliations sur lesquelles on ne peut pas revenir. Des blessures qui ont été perpétrées. On entend ici un appel clair à ne pas laisser de telles brèches se creuser, au point de devenir d’infranchissables gouffres.
Le riche demande à nouveau mais pour la première fois, il pense à quelqu’un d’autre qu’à lui-même. Il demande à Abraham d’envoyer Lazare à ses frères. C’est la classique idée que si on en connaissait les conséquences, on ne ferait pas certaines erreurs. L’histoire a maintes fois montré le contraire, mais on continue à penser que l’éducation au sens large évite à l’être humain de reproduire les erreurs passées.
Il faut les prévenir que si ils se comportent mal, ils seront soumis aux tourments pour l’éternité! À cette demande de l’homme riche ont répondu et répondent encore certains mouvements religieux, jouant sur la peur de l’enfer.
La réponse d’Abraham est toute autre: pas besoin d’une révélation surnaturelle, ils ont déjà tout ce qu’il faut pour mener une vie juste. Ils ont Moïse et les prophètes. Comprenez, la Loi et la révélation. Ils ont les Écritures. Tout est là. Tout est donné. Il n’y a rien besoin de plus.
Ils ont tout, qu’ils écoutent !
Et lorsque l’on relit le prophète Amos, par exemple, on ne peut pas dire qu’il n’a pas essayé de secouer ses auditeurs. Seulement, et là il nous faut bien reconnaître l’honnêteté de l’homme riche: cela ne nous suffit pas.
Abraham dit écoute !
Ouvre tes oreilles, ton cœur, tes entrailles à la Bonne Nouvelle, à la loi de Moïse et aux prophètes. Laisse-toi interpeller par la Bible. Place ton existence devant le miroir que te renvoient les Écritures.
Et nous disons: cela ne nous suffit pas.
Mais si quelqu’un revenait du séjour des morts, alors là, nous nous laisserions convaincre !
Voilà la pointe du texte.
Le moment clé où nous sommes violemment projetés hors du monde de la parabole pour être renvoyés à nous-mêmes. Parce que, nous l’avons bien saisi, un homme qui est revenu de la mort à la vie pour nous donner une parole, il y en a eu un le Christ.
Et pourtant… cela a-t-il suffi ?
Du temps de l’évangile de Luc, on devait certainement s’interroger. Comment cela était-il possible que la résurrection du Christ n’ait pas réussi à convaincre plus largement?
Cette interrogation demeure aujourd’hui encore.
Pourquoi, alors que Dieu nous a donné tous les outils, ne parvenons-nous pas à mener une vie juste, moins souvent jalonnées de nos petitesses? Et pourquoi le monde n’est-il pas devenu meilleur?
Des réponses, la parabole n’en formule pas. Comme souvent, elle nous laisse avec plus encore de question à la fin qu’au début. Mais n’est-ce pas là sa richesse?
Elle donne une ouverture claire, un appel à puiser dans les textes des ressources pour une vie plus juste et à ouvrir les yeux sur les brèches que nous participons parfois à creuser.
Tout cela avec le langage simple et plein d’esprit.
Qui, sans en avoir l’air, parvient à nous secouer.
Quelle chance nous avons, de pouvoir lire et méditer les Écritures!
Amen