Prédication du dimanche 17 mars 2024 à Bôle.
Lecture biblique : Jean 11, 1-45
Un pas vers la croix
Là, Jésus est allé trop loin. En sortant un homme de la mort, il a dépassé tous les tabous, outrepassé les limites de l’humain. Et surtout, il a fait éclater la tolérance des autorités juives. Qu’il fasse des miracles, passe encore. Qu’il s’érige en interprète privilégié de la parole de Dieu, cela devenait difficile à accepter. Mais qu’il ramène à la vie un trépassé, c’en était trop. Juste après le récit de la résurrection de Lazare, les juifs venus consoler Marie et sa sœur Marthe s’en vont voir les pharisiens et leur racontent ce dont ils viennent d’être témoins. C’est ce jour-là, dit le texte, qu’ils décidèrent de le faire périr.
Un pas est fait en direction de Vendredi saint. Une marche irréversible vers la croix. À deux semaines de Pâques, nous sommes encore en plein temps de Carême. Une période qui nous invite à réfléchir au sens de ces événements, à la signification de la croix et du tombeau vide. Et le récit de la résurrection de Lazare est un de ces textes qui, sans en avoir l’air, nous parlent plus de la résurrection du Christ que de l’événement raconté. D’une certaine manière, les évangiles tout entiers ne parlent que de la résurrection du Christ. En effet, tous ont été rédigés par des croyants, confessant leur foi au Christ ressuscité au travers de leur manière de raconter la vie de Jésus.
Le dernier signe
Alors même que la plupart des récits de miracles ne tiennent qu’en une dizaine de versets, la résurrection de Lazare s’étend sur un long chapitre. Mais le fait même du retour à la vie n’est l’affaire que de quelques lignes. Le miracle proprement dit n’occupe pas beaucoup de place par rapport aux discussions, aux controverses et aux proclamations qui l’entourent.
L’évangile de Jean ne compte en tout que 7 miracles. Ceux-ci sont appelés non pas miracles, mais des « signes ». Les actes de puissance de Jésus sont signe de l’action de Dieu. Ils révèlent le Dieu dont Jésus est l’envoyé. Différemment des autres évangiles qui rapportent beaucoup de prodiges, Jean ne raconte que 7 signes. 7 actes de puissance dont la résurrection de Lazare est le point culminant. Vous les connaissez ? (la transformation de l’eau en vin lors des noces de Cana (Jn 2,1-12), la guérison du fils d’un haut fonctionnaire (Jn 4,43-54), la guérison d’un paralytique (Jn 5,1-16), la multiplication des pains (Jn 6,15), la marche sur l’eau (Jn 6,16-20), la guérison de l’aveugle de naissance (Jn 9,1-41) et la résurrection de Lazare (Jn 11,1-45)) Après celui-ci, Jésus n’opérera plus de signe. On est à la moitié de l’évangile (chapitre 11 sur 21). Ce dernier préfigure peut-être ce qui pourrait être compris comme l’ultime signe : la résurrection du Christ.
Un récit bien étonnant
Il est étonnant de relever que, paradoxalement, une place somme toute assez petite est laissée à ce Lazare dans cette histoire. Et ce n’est de loin pas la seule chose étonnante de cette affaire. Lorsque Jésus apprend que son ami est malade, il affirme : « sa maladie n’aboutira pas à la mort, elle a pour but de montrer la puissance de Dieu ». Pas de parole de compassion pour son ami, pas d’émotion à l’annonce de son état, pas de mot de tendresse pour lui ou ses sœurs. Pas de précipitation non plus à se rendre à son chevet. Jésus reste encore deux jours là où il se trouvait. Et pourtant le texte souligne : Jésus aimait cette famille.
Lorsqu’il décide de se rendre à Béthanie, il sait déjà que Lazare est mort. Son manque d’empressement semble avoir pour but de s’assurer que Lazare est bien mort. D’ailleurs il dit à ses disciples qu’il est content de n’avoir pas été sur place au moment de sa mort, parce qu’ainsi ils croiront.
Si Jésus avait assisté au dernier souffle de son ami puis l’avait ranimé, on aurait pu douter. Des détracteurs auraient pu affirmer qu’il n’était pas vraiment mort. Mais dans ces circonstances, pas de doute possible puisque Jésus était encore loin quand le décès a été prononcé.
Le début de ce récit est troublant. De même, la fin. Pourquoi aucune place n’est-elle donnée à la parole de Lazare ? Un homme mort revenu à la vie, quoi de plus inédit! On aurait aimé qu’il en dise quelque chose. Mais rien.
Rien parce que le centre de l’histoire n’est pas là et qu’au fond, Lazare n’est pas le personnage principal du récit. C’est de Jésus et personne d’autre dont il est ici question : de sa mort et de sa résurrection à lui, qui s’approchent à grands pas. Même si paradoxalement Lazare n’occupe qu’une place secondaire dans cette histoire, l’événement n’en devient pas pour autant totalement déshumanisé. Au contraire, c’est probablement un des récits qui mettent en scène un Jésus particulièrement humain, capable d’émotions. Il se laisse troubler et ne sait que répondre au désarroi de Marie face à la mort de son frère. Nous sommes bien loin du Jésus sûr de lui, qui assène une parole empreinte de sagesse en toute situation. Cette humanité culmine dans le verset 35, le plus court et sans doute un des plus marquants du Nouveau testament, deux mots seulement : Jésus pleura.
Humanité et vérité
Humanité et vérité font la force de ce récit. Marthe autant que Marie expriment leur révolte contre la vie, contre la mort et contre Jésus lui-même. Toutes les deux lui disent : si tu avais été là, il ne serait pas dans ce tombeau. Pourquoi ne s’est-il pas empressé de venir au secours de son ami ? Pourquoi les a-t-il abandonnés ? Marie et Marthe sont directes. Elles sont humaines et elles sont vraies.
La mort aussi est vraie. Quatre jours que Lazare est dans le tombeau. Le corps doit sentir. La mort, comme les sentiments, n’est pas édulcorée. La préoccupation de Marthe est tout ce qu’il y a de plus terre à terre, elle est vraie. C’est au cœur même de cette humanité et de cette vérité que Jésus annonce sa mort et sa résurrection. Les événements qu’il l’attendent ne le laissent pas indifférent. Et si il est vrai qu’il ira librement jusqu’au bout, la perspective de la croix le bouleverse.
L’assurance de la résurrection n’enlève rien à la douleur de la mort, ni à la difficulté de la séparation. Certes, elle évite de se perdre dans le désespoir, mais le deuil demeure. La résurrection ne rend pas la mort légère, celle-ci demeure une épreuve. Affirmer le contraire serait une faus
se consolation. La mort demeure une épreuve, mais désormais, elle n’est plus la fin.
Lorsque Jésus dit à Marthe que son frère reviendra à la vie, celle-ci répond : je sais qu’il ressuscitera à la fin des temps. A l’annonce de la résurrection, Marthe prononce une confession de foi. Presque une leçon de catéchisme apprise par cœur. Une manière peut-être de se rassurer en s’accrochant à un savoir. Mais un savoir qui ne la console pas et surtout qui ne veut pas dire grand chose dans ces circonstances. La fin des temps, c’est bien loin. Bien trop loin pour lui apporter quelque réconfort face au décès de son frère.
Futur lointain ou réalité immédiate
À cette affirmation d’un lointain futur, Jésus répond par un présent : je suis. Je suis la résurrection et la vie. Au travers de la foi en Jésus-Christ, Marthe peut connaître dès à présent la résurrection. La vie qui émerge même du cœur de la mort.
À quinze jours de Pâques, le dialogue de Marthe et de Jésus nous rappelle que la résurrection est tout sauf l’objet d’un savoir. Les plus belles tournures de phrases, les assertions les plus dogmatiquement exactes ne demeurent toujours que des choses apprises. Elles ne sont pas fausses et permettent de se raccrocher à quelque chose lorsque la foi est mise à mal.
Mais la résurrection n’est pas un objet de savoir. La résurrection est le sujet de la foi! Un acte de confiance et d’espérance qui engage toute notre personne.
Que les deux semaines qui nous amènent à Pâques nous donnent l’occasion de nous confronter à notre foi. De nous questionner sur ce qui nous porte vraiment. Et de nous demander comment nous vivons de cette espérance.
Sors et viens à moi ! A dit Jésus à Lazare. A notre tour, entendons son appel et allons à lui. Risquons-nous à la vie nouvelle dès aujourd’hui.
Amen.