Prédication du jeudi de l’Ascension, 30 mai 2019 à Auvernier
Lectures bibliques: Luc 24,46-53 et Actes 1,1-11
Introduction aux lectures
Nous écouterons ce matin les 2 versions de l’Ascension que nous propose le Nouveau Testament. 2 versions différentes, de la plume du même auteur: le rédacteur de l’évangile de Luc et du livre des Actes des Apôtres.
2 versions de la même histoire qui disent chacune à leur manière leur vérité. L’une clôt l’évangile de Luc. En terminant en beauté le récit de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus. L’ascension au terme d’une longue journée de Pâques est l’achèvement de la victoire sur la mort. Une fin. Mais une fin ouverte qui nous donne envie de connaître la suite.
Luc aurait été un bon auteur de série. A la fin de son évangile, on a envie de commencer la saison 2 😉
La saison 2, le second volet de son œuvre littéraire, c’est le livre des Actes des Apôtres. Et Luc raccroche le lecteur en racontant à nouveau l’événement. Comme s’il nous disait: souvenez-vous où nous en étions restés… Mais il raconte différemment, mettant l’accent moins sur l’achèvement que sur l’ouverture à la suite
Lectures biblique
Une bonne question
L’Ascension.
Le jeudi de l’Ascension, nous célébrons la montée au ciel du Christ ressuscité. Une fête qui ne semble pas centrale s’il s’agit de commémorer un Jésus transformé en héros-fusée. Mais une fête qui pose un bonne question. Une très bonne question. Une question qui a occupé l’esprit des chrétiens dès les premières générations du christianisme : comment vivre sans Jésus ?
Croire en Jésus semble moins difficile lorsqu’il s’agit de suivre sur les routes de Galilée un maître qui parle bien et guérit par une simple parole que quand cela implique de placer sa confiance en un homme mis à mort comme un malpropre et dont certains disent qu’il serait apparu à ses amis après sa mort.
Sur ce point, les évangiles nous mettent souvent en garde. Bien des contemporains de Jésus n’ont pas su ou pas voulu voir qui il était.
On est toujours plus intelligents après. Aurions-nous fait partie des hommes et des femmes qui ont tout abandonné pour le suivre ? Rien n’est moins sûr.
Après Pâques, toutes les espérances se cristallisent sur une promesse : celle du retour.
Mais les jours passent, les semaines, les mois, les années… Et le retour du Christ se fait attendre.
Quelques décennies après la croix, les chrétiens prennent conscience qu’il faudra apprendre à habiter ce temps nouveau : entre le temps de Jésus et le temps du Royaume, voici le temps qui est le leur (et qui est encore le nôtre aujourd’hui) : le temps de l’absence.
Comment vivre cette absence ?
Passage de témoin
Les deux récits de l’Ascension se font écho de cette question.
On y distingue 5 éléments :
→ En premier lieu : l’enseignement. Avant de partir, le Christ enseigne, il rappelle le sens et le centre de son message : le Royaume de Dieu. Pour connaître le contenu de cet enseignement, il nous suffit de lire et de relire l’évangile que Luc nous laisse. Tout est là.
→ Deuxième élément, le don de l’Esprit saint. Les apôtres recevront l’Esprit de Dieu. L’Esprit agira en eux. Jésus ne sera plus là, mais l’Esprit de Dieu vivra en eux. Avant de le recevoir, les apôtres doivent rester quelques temps à Jérusalem. Jusqu’à la Pentecôte. Un temps nécessaire pour se fortifier.
A la fin de l’évangile, on quitte les disciples pleins de joie, qui louent Dieu entre eux continuellement dans le temple.
Mais heureusement – je dis bien heureusement – il y a la suite. Sinon, on assisterait tout bonnement au repli de quelques exaltés et la foi dans le Christ se serait éteinte avec eux.
Mais, et c’est le 3e élément :
→ les apôtres sont désignés comme témoins. Des témoins envoyés jusqu’au bout du monde. Rien de moins que cela ! L’Esprit de Dieu qui agira en eux poussera les apôtres hors de leurs limites et empêchera la première Église de se replier sur elle-même. Elle s’ouvrira malgré les oppositions, malgré les difficultés, malgré aussi les tensions internes. Le mot témoin en grec a donné martyr en français. Être témoin, c’est payer de sa personne, c’est témoigner par sa vie toute entière.
→ 4e élément : la bénédiction. Le Christ ressuscité bénit ceux qu’il envoie. Une bénédiction qui permet aux apôtres de vivre la séparation autrement que comme un drame. C’est pendant qu’il les bénit qu’il est emporté.
→ 5e et dernier élément : la disparition. Qu’est-ce donc que cette histoire là ?
Dans le récit de Luc, il se sépara d’eux et fut enlevé au ciel. Sobrement. Et même certains manuscrits anciens s’en tiennent à « il se sépara d’eux ». Dans le récit des Actes, il fut élevé et une nuée le soustrait au regard des apôtres.
Dans le monde biblique, le ciel est le siège du royaume de Dieu. La nuée à la fois manifeste et cache la présence divine.
Le Christ ressuscité entre donc dans la réalité de Dieu. Il ne sera désormais plus accessible au regard humain, mais continuera à se manifester – autrement – dans le monde.
Telle est son ascension.
Le temps de l’absence
Et voici qu’il y a nous.
Quelques 2000 ans plus tard, l’attente du retour du Christ en gloire ne nous fait plus bouillir d’impatience. Nous nous sommes faits une raison : ce n’est pas pour aujourd’hui. Qui sait ?!?
Mais reconnaissons franchement que nous ne nous levons pas tous les matins en nous disant : et si c’était pour aujourd’hui ?!
Entre le temps de Jésus et le temps du Royaume. C’est le temps de l’absence.
Ce que les théologiens appellent le temps de l’Église.
Et ce temps dure…
Il dure…
Il dure…
… et pendant ce temps qui dure, Étienne a quelque chose à me transmettre.
Vous reconnaissez de quoi il s’agit ?
C’est un accessoire qui s’utilise en athlétisme, dans les courses de relais. On l’appelle un témoin.
C’est un objet qui peut nourrir notre réflexion sur ce temps dans lequel nous vivons. Le temps des témoins, le temps de l’Esprit saint.
La donnée de base d’une course de relais, c’est qu’il faut se passer le témoin entre coureurs.
C’est la consigne, mais ce n’est pas le but.
Le but n’est pas de se passer le témoin. Le but véritable, c’est de courir vite.
Et au moment du passage du témoin, le véritable enjeu est de ne pas perdre de vitesse.
Celui qui démarre sa course doit se caler dans le rythme de son prédécesseur et poursuivre dans le même élan.
Il est parfois plus simple, et moins risqué de courir seul. On peut courir seul un 400 mètres. Mais ce n’est pas la même course.
La course de relais implique que l’on décide de courir à plusieurs.
Et il se trouve que souvent, on parcourt la même distance en moins de temps.
4 personnes qui sprintent sur 100m sont plus rapides qu’une qui s’essouffle sur 400.
On est plus forts à plusieurs. Mais cela implique de s’entraîner ensemble, de se faire confiance, de laisser l’autre faire sa course et de prendre le risque qu’une fois où l’autre un des coéquipiers lâche le témoin et fasse perdre la course à toute l’équipe quand bien même on aurait fait un bon temps soi-même.
En Église, on a parfois du mal à faire en équipe. On a ses habitudes, on a toujours fait comme ça. On sait courir son petit bout de terrain, depuis toutes ces années.
En Église, on s’engage avec cœur et avec conviction. On y met de sa personne. Parois même jusqu’au martyr.
Alors laisser d’autres faire et surtout les laisser faire à leur manière – qui risque d’être différente de la mienne – ce n’est pas simple.
Et puis il faut le dire, on a parfois l’impression qu’on a couru sa partie, qu’on tend le témoin mais que les mains prêtes à l’empoigner ne sont pas nombreuses.
On fixe notre regard sur l’objet. Sur ce qu’il y a à donner, à porter.
Un athlète, lui, ne court pas avec les yeux rivés sur le témoin. Quand on court, on porte le regard en avant. On regarde où l’on va.
Après la disparition du Christ, deux hommes en blanc demandent aux disciples : pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ?
Figés dans une attitude statique, ils demeurent le nez en l’air. De même au temps de la découverte du tombeau vide, des hommes en blanc avaient demandé aux disciples : pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant ?
Ils ne portent pas le regard vers l’avant.
Regardez ce témoin.
Il est vide. Tout léger. Bien loin d’un fardeau qu’on aurait à se refiler.
Passez-le entre vous. Vous verrez combien il est léger.
Mon joug est facile et mon fardeau léger, disait Jésus.
Le témoin n’est qu’un signe. En soi, il n’a que peu de valeur. C’est juste un bout de tuyau. Sa valeur est dans le signe. Le signe que la course est courue ensemble. Jusqu’au bout.
Le témoin n’est pas le but. Le but c’est la course.
Une course que l’on décide de faire en équipe plutôt que seul.
Une équipe demande de se faire confiance.
Que chacun-e fasse sa part et y mette de sa personne.
En fixant toujours son regard vers l’avant.
Et en transmettant dans les meilleures conditions que possibles le signe de la course : le témoin.
Être témoin du Christ n’est pas lourd.
C’est une mission qui nous est donnée avec élan et que chacun d’entre nous peut poursuivre avec le même souffle. Toujours plus loin.
On ne court pas seuls.
Nous faisons tous notre part.
Parce que nous avons décidé que nous ferions cette course ensemble.
Portés par l’Esprit de Dieu qui agit en nous et nous pousse à ne pas nous replier mais à dépasser nos limites, malgré les oppositions, les difficultés, les tensions.
Être témoins du Christ pendant ce temps de l’absence, c’est décider d’avancer, de savoir où on va et de permettre à la communauté des coureurs de faire partie de l’équipe.
Pour terminer, j’aimerais vous montrer encore quelque chose.
(Prendre le témoin et l’agiter rapidement dans l’air comme si on courait. Il fait du bruit).
Voici donc à quoi nous sommes appelés, témoins d’aujourd’hui.
A avancer en équipe,
parfois ensemble,
parfois côte à côte,
parfois l’un après l’autre,
et à faire chanter le souffle divin.
Amen