On l’attend!

Prédication du dimanche 20 novembre 2016 à Bevaix (sera reprise le 27 novembre à Cortaillod).
Lectures bibliques: Malachie 3,1-5 et Luc 21,25-28 + 21,34-36

Un langage étrange et étranger

Je l’avoue j’ai toujours un peu de mal avec ce langage apocalyptique. Ces grandes démonstrations de force, ce feu qui consume, ces bouleversements cosmiques, ces grandes lessives et ce Christ qui débarque du haut de ses nuages.
J’avoue que j’ai toujours du mal, en abordant ce genre de textes, à retrouver le Dieu de ma foi, celui qui fait partie de ma vie et que je cherche à connaître mieux. Le Dieu de ces textes m’est passablement étranger.

L’entrée dans le temps de l’Avent est imminente et les lectionnaires nous invitent à lire ces textes empreints d’une attente fébrile. Par ailleurs, il faut noter que même si ce langage apocalyptique est minoritaire dans la Bible, on le retrouve régulièrement et dans de nombreux livres bibliques de toutes époques, Ancien et Nouveau Testament confondus. Il convient donc aussi de les lire et de chercher à les comprendre, dans la conviction qu’ils ont quelque chose à apporter à notre foi.

Les personnages qui tiennent de tels discours ont toujours passé pour des allumés. L’image qui me vient immédiatement à l’esprit quand j’imagine une personne prononcer de telles paroles, c’est Philippulus le prophète, dans Tintin et l’étoile mystérieuse.
Vous le voyez avec ses cheveux blancs en bataille, ses yeux grands ouverts, ses petites lunettes au bout de son nez pointu? Vêtu d’un grand drap blanc et frappant sur un gong? 5120010-c0908a4philippulus

Difficile de prendre au sérieux un tel personnage, ainsi que ses paroles!
De fait, les paroles apocalyptiques sont et doivent être déroutantes. Elles bousculent pas le simple fait que c’est un langage du passé qui est utilisé pour parler d’une réalité présente, en la projetant vers l’avenir. Comment ne pas être perdu?!

Décisions d’avenir

Il y a toujours dans ces paroles une dimension d’urgence et de crainte. Dimensions qui sont reprises aujourd’hui par d’autres discours, sortis du domaine religieux.
Écoutez les discours des sociologues, des ethnologues, des climatologues. Leurs projections ne disent-elles pas, comme le langage apocalyptique biblique, quelque chose de nos craintes actuelles? N’influencent-elles pas nos décisions aujourd’hui pour agir sur le monde de demain?

La votation sur la sortie du nucléaire est particulièrement intéressante en ce sens. La question qui nous est posée est: quel monde voulons-nous dans l’avenir? Et pas un avenir très proche car l’arrêt effectif des centrales ne serait pas pour demain. Mais dans un avenir lointain.
Si lointain d’ailleurs qu’un bon nombre de votants d’aujourd’hui ne verront pas de la conséquence effective de leur vote.

C’est beau, n’est-ce pas? Comme idée du monde et de la société?
Nous devons aujourd’hui nous prononcer pour le monde dont nous rêvons pour celles et ceux qui sont à venir. Et notre décision est nécessairement nourrie par nos craintes actuelles et celles que nous projetons sur demain. Nous devons choisir le monde tel qu’on le souhaite, avec la confiance que l’on saura dans l’avenir nous donner les moyens de trouver les solutions pour le réaliser.

C’est plutôt enthousiasmant je trouve. Mais peut-être pas très suisse… Nous on aime bien maîtriser les enjeux, nous appuyer sur une certaine sécurité, pas trop d’audace… Nous verrons bien!? 😉 L’avenir nous le dira…

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Demeurer éveillés

L’avenir justement.
On le lit souvent le langage apocalyptique avec l’idée que nos peurs d’aujourd’hui sont nourries par l’attente d’une catastrophe encore plus grande. La fin du monde. Mais en réalité, ce langage ne décrit pas un avenir. Il parle encore moins d’une fin.
Ni le prophète Malachie ni Luc ne parlent de la fin de quelque chose. Plutôt d’un début. D’une espérance. D’un Dieu qui vient. Qui advient au milieu de ce monde en tourments, au cœur des craintes et des angoisses.

J’ai lu dernièrement qu’une partie non négligeable de la population en Suisse ne s’informe des nouvelles du monde que par le biais des journaux gratuits et des applications ce ceux-ci. Sans jamais lire d’article un peu plus conséquent, sans aucune analyse de l’actualité, sans non plus de hiérarchie.
Un chien écrasé par une voiture au fin fond du Kentucky… des bombes sur la ville d’Alep… une femme qui donne naissance à des sextuplés au Japon… les confidences de la coiffeuse de Donald Trump…
Tout à la suite… tout au même niveau.

Les actus qui sont le plus lues sont celles qui provoquent le plus rapidement des émotions. Les autres sont simplement laissées de côté.
Ainsi, les catastrophes naturelles, les attentats ou les élections américaines sont très suivies ; même si elles le sont de manière totalement superficielles. Alors que le retrait de la Russie de la cour pénale internationale ou les discussions de la COP22 carrément ignorées.

On perd la recherche du sens. On se laisse dominer par les émotions. Et ainsi on tend à laisser nos peurs déterminer l’avenir. Aussi bien dans les texte de Michée que dans celui de Luc, on a l’image d’un homme debout.
Un homme qui ne se laisse pas submerger par les affects du monde. Qui n’est pas écrasé.
Qui ne s’endort pas.
Qui veille.

Le langage apocalyptique est toujours en tension. Il ne permet pas de s’endormir.
Une tension entre avertissement et encouragement.Tension indispensable pour ne pas tomber soit dans le millénarisme par excès de l’un, soit dans l’utopie par excès de l’autre.

C’est maintenant!

Le langage apocalyptique possède en lui cette dimension d’urgence. D’espérance véritable qui n’est pas un lointain espoir mais la réalité d’un Dieu qui vient.
L’urgence qui dit qu’on ne peut pas se dire qu’on sera croyant plus tard, un jour…
Mais que c’est dans notre rapport ici et maintenant aux autres et au monde que se joue notre rapport à Dieu.
C’est maintenant! Maintenant qu’il faut savoir ce que cela change à ma vie. Maintenant que je dois agir en conséquence.

L’étrangeté du langage, le fait qu’il nous met un peu mal à l’aise aide bouscule et remue. Il nous oblige à demeurer éveillés.

Cette arrivée du Christ très spectaculaire, en majesté dans un monde bouleversé nous fait bizarre. Cet homme qui descend d’un nuage, c’est pour le moins incongru et proprement in-croyable.
Pourtant la foi chrétienne, si j’ai bien compris, est la conviction qui habite les croyants que la réalité ne se réduit pas à ce que nous en percevons.Que notre justice et les lois qui régissent le monde ne sont pas les seules qui existent et qu’elles ne sont pas absolues.
Ce que nous appelons le règne de Dieu, c’est un réalité régie par une autre justice que la justice humaine, où les valeurs ne sont pas déterminées par la loi du plus fort.
Et nous croyons que ce règne advient.
Qu’il adviendra peut-être un jour pleinement, mais qu’il est dès à présent possible d’en vivre les prémices.
Et si je comprends toujours bien, notre boulot à nous – pour le dire trivialement – c’est de contribuer à ce qu’il puisse advenir.

En cela, mes paroles paraîtront peut-être aussi bizarres et incongrues que ce le langage apocalyptique raconte par ce Christ qui débarque du ciel.

Quel que soit le langage dans lequel nous l’exprimons, cette réalité demeure. Il nous faut vivre de cette espérance que le règne de Dieu advient. Qu’il nous est donné de ne pas nous laisser submerger par les affects du monde et que nous pouvons vivre dans ce monde debout.
Et au sein même de ce monde, vivre les prémices du royaume.

Car le monde n’est pas seulement le lieu des nos peurs, il est aussi et avant tout celui que Dieu a choisi d’aimer.
Le lieu de notre réalité première, où se vivent les joies de nos relations, les beautés de la nature.
Le lieu dans lequel Dieu a choisi de s’incarner.
C’est bien de cela que nous nous réjouissons et que nous nous apprêtons à célébrer.

Amen