Prédication du dimanche 13 mars 2016
Textes bibliques: Luc 7,31-35 (les enfants qui jouent) et Psaume 126
Inspirations: matériel du Cours biblique et échanges lors de la rencontre en paroisse.
Cette année, c’est le thème des paraboles que nous avons l’occasion d’aborder lors des rencontres bibliques mensuelles de paroisse.
Le style littéraire de la parabole a la grande force d’opérer un déplacement. Alors qu’une critique portée de front pourrait braquer les interlocuteurs et s’avérer stérile, la parabole a l’avantage de faire appel au langage indirect. Elle oblige l’auditeur à fournir un effort créatif de compréhension. A participer à l’élaboration du sens, ce qui le met nécessairement en route et favorise une remise en question. L’auditeur de la parabole devient acteur de son sens. Sans avoir l’air de le dire, la parabole peut alors s’avérer bien plus incisive qu’un discours direct et froid.
Ainsi, on constate à la lecture des évangiles que les interlocuteurs de Jésus n’obtiennent que rarement des réponses directes à leurs questions. Idéalement, ce devrait être aussi notre cas le dimanche matin lorsque nous venons au culte: nous devrions quitter le temple avec des questionnements qui font avancer et qui stimulent notre créativité plutôt qu’avec des réponses toutes faites.
Mais on le sait bien, vos pasteurs n’ont pas le génie littéraire de Jésus, ni même celui d’un Marc, d’un Matthieu, d’un Luc, d’un Jean ou d’un Paul. Heureusement, nous croyons que nous pouvons compter sur l’Esprit saint pour transformer nos paroles humaines en Parole de Dieu pour nous 😉
Les enfants qui jouent
Cette parabole des enfants qui jouent est peu connue et à vrai dire, quand j’ai lu le programme des rencontres bibliques et que j’ai vu ce titre pour la rencontre de février, je ne voyais pas de quoi il s’agissait. J’ai dû me replonger dans l’évangile de Luc pour redécouvrir ces quelques versets.
Des enfants désabusés, déçus que les autres ne jouent pas avec eux. Quelle que soit l’activité proposée, quel qu’en soit le type ou l’ambiance, les autres rechignent. Ils ne sont ni enthousiasmés par la musique joyeuse, ni saisis par les chants tristes. Rien ne leur convient.
Cette parabole est racontée par Jésus dans le contexte très précis d’un échange avec deux hommes, disciples de Jean-Baptiste, venus voir Jésus pour lui demander si il est bien celui qui vient, le Messie que Jean annonce, ou si il faut en attendre un autre. Comme à son habitude, Jésus ne répond pas. Mais si il avait répondu « oui » à la question, « oui, je suis le Messie que Jean annonce », cela aurait-il suffi? La réponse directe n’est pas forcément définitive.
Constat d’échec
On lit en arrière-fond de ces versets le constat d’échec de la prédication ancienne. Jean-Baptise et Jésus eux-mêmes n’ont pas été entendus. Et même les disciples du premier doutaient du second… Même cette génération-là n’a pas joué le jeu. Elle a rechigné. La génération jamais contente a toujours une bonne raison, quelque chose à reprocher, des bons arguments, pour demeurer dans la méfiance. Pour ne pas danser, pour ne pas pleurer.
Peut-être est-ce une bonne excuse pour ne pas se risquer?! Ou demeurer de côté, le regard acéré et prompt à la critique à peine quelqu’un se risquerait à la danse d’un pas mal assuré.
Jean-Baptise ne mange rien! C’est un ascète. Il est louche.
« Il a un démon » dit le texte. Un p’tit vélo!
Jésus, lui, mange et boit avec n’importe qui. Il n’est pas fiable.
Voilà. Le jugement est posé.
De la simple observation d’une attitude face à la nourriture, on arrête son opinion sur un homme. Et par extension, sur sa capacité ou non à avoir quelque chose à nous dire.
Jésus: un glouton?!
Jésus : un glouton et un ivrogne…
C’est amusant. Aujourd’hui, si on devait donner des qualificatifs pour décrire Jésus, peu de gens diraient: c’était un glouton et un ivrogne. Et pourtant, à l’époque, c’est bien cela qui l’a disqualifié auprès de bien des hommes de cette génération.
L’image que l’on se fait de Jésus aujourd’hui peut-elle aussi le disqualifier aux yeux de certains? Selon les critères de notre génération?
Je pense que oui.
Le grand sage, d’humeur toujours égale, beau brun barbu l’air détaché de tout, tel que l’imagerie populaire s’est appropriée la figure de Jésus en rebutent beaucoup. Et je ne peux pas m’empêcher de les comprendre. Le beau gaillard à bouclettes brunes et l’œil mielleux n’a rien à voir avec le Jésus que je rencontre à la lecture des évangiles. Et pourtant, dans l’esprit de beaucoup, Jésus, c’est lui. Et c’est certainement de lui dont on parle le dimanche matin entre ces quatre murs, sur un ton béat!
De même, les titres que la tradition a attribué à Jésus: le sauveur, le Christ, le seigneur… ne parlent qu’aux personnes initiées au langage religieux et ne représentent rien pour la plupart de nos contemporains. On se rend bien compte que ce ne sont pas avec ces attributs que nous parvenons à transmettre l’Évangile autour de nous. Mais comment le faire alors?
Échec encore
On ne peut que constater une certaine forme d’échec lorsque l’on voit combien d’enfants et de petits-enfants d’une génération pourtant très régulière à l’église n’est aujourd’hui pas engagée. Vos enfants, vos petits-enfants ont-ils une vie de foi?… Sont-ils engagés dans l’Église?… Si non, pourquoi?
Auriez-vous fait quelque chose de faux? Aurions-nous fait quelque chose de faux? Pourtant, je suis sûre que nous voulons tous transmettre notre foi à nos enfants. Nous essayons honnêtement, sous diverses formes. Mais nous ne savons pas ce qui est réellement reçu, ni si cela aura un écho dans leur vie. Avec les enfants de la parabole, nous ne pouvons qu’exprimer notre incompréhension quand ils s’en détournent. Ou quand nos catéchumènes ne poursuivent pas leur engagement.
Pour nous qui savons combien la foi donne un sens à notre vie – combien la musique nous invite à danser et comment les chants funèbres nous font pleurer (pour reprendre les images de la parabole) – nous ne pouvons pas comprendre le silence de ceux qui n’entrent pas dans le jeu. Et face à cette incompréhension, nous ne pouvons que redire, témoigner du sens que cela a, et cela a eu pour nous.
Nous cherchons alors à reproduire ce qui est fort pour nous. Ce qui nous a fait vibrer et donner envie de nous engager. Mais peut-être que pour que d’autres personnes fassent la même expérience, il faudrait non pas que les choses soient pareilles, mais justement qu’elles soient différentes.
Les enfants à la cène
Par exemple, nous avons changé notre manière de concevoir la présence des enfants à la cène. Autrefois, ils n’avaient pas le droit d’y venir. Car l’on considérait que cela était réservé aux personnes adultes dans la foi qui avaient compris ce que signifiait la communion au corps et au sang du Christ. La cène, qui n’était célébrée que quelques fois par an, avait un côté exclusif auquel les enfants, en grandissant, se réjouissaient de pouvoir participer quand ils en auraient l’âge, avec l’important rite de passage que constituait la confirmation.
Aujourd’hui, les choses sont différentes. Nous célébrons la cène à chacun de nos cultes, elle est donc devenue moins exclusive. Les enfants n’attendent plus avec envie d’avoir l’âge d’être autorisé à y participer. Il a donc été décidé qu’il était plus favorable de les y inviter dès leur plus jeune âge. Ils apprennent donc à vivre ce moment, observent les adultes dans leurs gestes, leurs attitudes. Ils apprennent en imitant, comme ils le font dans bien des domaines. Puis cela amène en eux des questions, occasions pour les parents et les pasteurs d’expliquer le sens de la communion aux enfants et de témoigner aussi du sens que cela a pour eux.
Pour parvenir au même but catéchétique et de vie communautaire, notre pratique a changé au fil du temps. D’une pédagogie exclusive, nous sommes passés à une pédagogie inclusive.
Entrer dans le jeu
Pour d’autres domaines, il devrait peut-être en être de même. Mais c’est un des grands paradoxes de notre Église aujourd’hui: nous aimerions de tout cœur que plus de gens s’y engagent et nous sommes persuadés qu’ils y trouveraient le sens, la joie, le soutien et les liens que nous expérimentons.
Mais par ailleurs, nous ne voulons rien changer. On a toujours fait comme ça et c’est ainsi que nous y trouvons notre compte. Mais si de nouvelles personnes se joignent à notre communauté, elle changera de fait. Car l’Église est faite par la communauté qui la compose. Si la communauté évolue, l’Église évolue.
C’est toujours facile d’aller danser au centre de l’agora, de la place publique, quand l’air nous est familier et qu’en plus, on connaît le flûtiste. Mais quand la mélodie est jouée autrement que de la manière dont on a l’habitude, quand nous nous sentons bousculés par ceux qui dansent autrement que nous, difficile de ne pas faire à notre tours les enfants qui boudent sur le côté.
L’Église aujourd’hui est à un tournant. Et je me refuse à croire, comme certains, qu’elle a entamé un inexorable déclin. Je ne crois pas que notre rôle de chrétiens d’aujourd’hui est de l’accompagner dans sa lente disparition. Peut-être pas si lente d’ailleurs…
Je crois encore que l’Église peut croître. Si l’Église est la moins mauvaise expression sur terre de l’Église de Jésus-Christ, je crois qu’il est de notre devoir de la renouveler, de la réinventer.
Il n’y a pas de solutions pour renouveler l’Église, pas de réponse à cette question.
Solliciter notre esprit créatif à tous est sans doute plus fructueux.
Et prions Dieu que son Esprit nous inspire !
Amen