Prédication du culte du 30 juin 2019 au temple de Colombier, lors du culte d’installation du Conseil paroissial
Lectures bibliques : Psaume 122 et Matthieu 14,15-19.
Lever les yeux au ciel.
Élever le regard.
Prendre un peu de hauteur.
Prendre du recul sur l’ordinaire de nos vies pour souffler, pour méditer, pour prier, pour se ressourcer.
Telle est l’aspiration que nous pourrions appeler religieuse.
L’être humain est façonné de plusieurs dimensions. Comparez donc le temps que nous passons à prendre soin de notre dimension corporelle, de notre dimension physique, de notre dimension psychique… celui que nous prenons à soigner notre dimension spirituelle.
Porter son regard vers les hauteurs et marcher avec confiance.
Comme ces pèlerins d’autrefois qui chantaient des psaumes en montant à Jérusalem pour les grandes fêtes religieuses.
Placer sa confiance en ce Dieu qui protège, qui garde, qui veille.
Regarder au ciel, quoi de plus fondamental?
Quelque chose en moi rêverait de me lever aux petites heures le matin, pour aller admirer le lever du soleil au bord du lac, dans un silence à peine rompu par le clapotis de l’eau et le chant matinal des oiseaux. Un petit déjeuner frugal, juste quelques fruits et une tisane suffiraient à nourrir mon corps. Puis la journée pour lire, méditer la Parole. En quelques semaines je relirais tout le Nouveau Testament à l’ombre d’un pommier. Une partie de moi aspire à cela. À cette vie presque monacale.
Mais la réalité est tout autre. Ma vie est somme toute bien ordinaire: calquée au rythme du programme long du lave-linge parce que cela consomme moins d’énergie, du mini paquet de chips à aller acheter en catastrophe à la station service pour le pique-nique du lendemain parce que je suis la seule mère à oublier systématiquement de donner des chips pour les courses d’école, des textes à écrire pour le journal paroissial parce que le délai de rédaction était hier, et du pv du Conseil paroissial parce que la séance commence dans 15 minutes et que j’ai oublié de relire le dernier pv.
Ce n’est encore pas aujourd’hui que j’avancerai dans ma lecture suivie du Nouveau Testament…
Eh bien figurez-vous que c’est justement là que cette histoire de pains et de poissons me fait du bien. Parce qu’on trouve un Jésus en pleine activité. Dans la récit parallèle chez Marc, Jésus enseigne. Ici chez Matthieu, il guérit. Son ministère n’est pas que prière et méditation. Il est aussi action.
Les disciples trouvent leur maître à ce point absorbé par ses activités qu’ils imaginent qu’il a oublié les bases de la vie matérielle. Ils semblent hésiter à l’interrompre, mais sentent qu’il est temps de le faire. Les gens vont avoir faim. Il est de leur responsabilité d’agir avant que la situation ne dégénère.
Ce matin, nous avons installé dans leur fonction les membre du Conseil paroissial, 10 laïcs et 3 ministres qui vont assumer la direction de La BARC pendant les 4 années à venir. Quand on s’engage dans l’Église, on rêverait peut-être que la plus grande part soit consacrée à l’approfondissement de la foi, à la prière, à la méditation de la Parole. Bref à l’épanouissement de notre dimension religieuse. Mais l’Église est une institution humaine et comme telle, elle est confrontée aux questions d’organisation, de gestion, de direction, de service.
Faut-il considérer cela comme une contrainte, un mal pour un bien ?
Je ne le crois pas.
Je crois au contraire que dans l’engagement concret se vit et se développe quelque chose de fondamental et de profondément spirituel. Lorsque les disciples interrompent Jésus pour lui signaler que l’heure tourne, ils font deux choses : ils posent le problème (il commence à se faire tard et les gens vont avoir faim) et proposent une solution (il faut les renvoyer pour qu’ils aillent s’acheter à manger) – à l’époque il n’y avait pas encore de station service pour acheter des chips…
Poser le problème et immédiatement proposer la seule solution évidente, c’est ce que nous faisons tous. C’est efficace. C’est la méthode qui fait perdre le moins de temps. Et ainsi les choses roulent. Mais Jésus propose une autre solution : donnez-leur vous-mêmes à manger. Le constat du problème n’est pas remis en cause, ce qui est discuté c’est l’évidence qu’il n’y aurait qu’une seule manière d’y répondre. Une des richesses d’un collège, c’est de pouvoir se permettre de prendre un peu de hauteur et d’explorer de nouvelles solutions. C’est une des forces que nous devrons cultiver dans le Conseil paroissial.
Avoir le courage, parfois, de ne pas répondre systématiquement par la solution qui saute aux yeux, mais d’explorer d’autres pistes. Ensuite viennent les questions pratiques. Et avec elles un certain nombre d’objections.
Nous n’avons pas assez de nourriture pour une telle foule !
Nous manquons de catéchètes pour réaliser tel projet.
Les gens ne seront pas contents si nous bouleversons les habitudes.
Ce projet ne risque-t-il pas de coûter trop cher ?
… cette liste n’est pas exhaustive (!)…
Ce que j’aime et qui me fait du bien dans ce récit c’est qu’il n’y a pas de jugement de valeur ni de hiérarchie entre les différents niveaux. Il n’y a pas l’idée que ce qui est religieux est supérieur aux questions pratiques et concrètes. L’être humain est pleinement et sans cesse à la fois un être charnel et spirituel. Accueillir les foules, enseigner le Royaume de Dieu, guérir les malades, nourrir les gens : tout ceci est indispensable. Rien ne l’est plus qu’autre chose.
Ceci est confirmé symboliquement par les deux aliments. Le pain est symbole de nos besoins matériels. Nous l’exprimons dans le Notre Père donne-nous notre pain de ce jour, nous le lisons aussi dans le récit des tentations : les pierres transformées en pains pour rassasier sa faim. Le poisson est, chez les premiers chrétiens, symbole de la foi. Le terme grec ICHTUS est un acrostiche de Jésus Christ, Fils de Dieu, Sauveur.
Alors bien entendu me direz-vous, la foule du récit ne peut pas être formée de premiers chrétiens, il y a un anachronisme : il ne peut y avoir de chrétiens qu’après la mort de Jésus et la foi en sa résurrection. C’est évident, mais il ne faut jamais perdre de vue que les évangiles sont écrits une génération après, au temps des premiers chrétiens justement. La signification du poisson est évidente pour les auditeurs d’alors.
Le pain et le poisson, ce sont la nourriture et l’espérance.
C’est manger et croire.
C’est tout ce dont nous avons besoin. L’un ne va pas sans l’autre.
Et c’est pour cela, je crois, que l’engagement dans l’Église, qu’il soit celui d’un ou d’une conseiller.ère paroissial, mais aussi tous les engagements bénévoles sont éminemment spirituels.
Soigner l’accueil, transmettre le message de l’Évangile, chanter et prier ensemble, animer une rencontre, concocter un repas qui permettra aux convives de se rencontrer, de discuter, d’échanger, décorer et fleurir les lieux et les tables. Tout ceci est important. Sans hiérarchie entre les petites et les grandes tâches. Tout concorde au bien et au beau, pour faire place à Dieu.
Si vous avez été attentifs au récit, ce n’est pas Jésus qui distribue les vivres. Il les partage et les remet à ses disciples qui, eux, les distribuent à la foule. L’action du Christ est démultipliée par des mains humaines. C’est là notre rôle.
Manger et croire.
Prier et servir.
Espérer et prendre des décisions.
Méditer et porter des tables.
Que voici un beau programme pour notre Conseil paroissial bien sûr, et pour chacun d’entre nous.
Amen