Les lettres de deux mères

Prédication épistolaire du culte du 17 mars 2019 à Bôle, avec le baptême du petit Jérôme.

Lectures bibliques : la vocation de Jérémie (Jér 1,4-10) et Jean-Baptiste et Jésus (Luc 3,15-22).

Chère Marie,

J’espère que tout se passe bien à Nazareth!
Comment va ta petite famille: Joseph, les enfants et toi?

Te fais-tu toujours autant de souci pour Joshua? Oui, il est mauvais charpentier, mais il a tellement d’autres qualités qu’il trouvera bien comment s’employer. Si une maison ne lui tombe pas sur la tête avant bien sûr… Je plaisante chère cousine, ne t’inquiète pas trop, tant que Joseph est avec lui, je suis certaine qu’il n’a rien à craindre.
Et puis cet enfant, Dieu le garde c’est certain, pourrait-il en être autrement? Il connaît déjà si bien les Écritures et ne m’as-tu pas dit qu’il y a quelques années le vieux Siméon à Jérusalem t’avait fait une prédiction te disant qu’il serait un prophète important?

De notre côté, tout est toujours aussi compliqué avec Jean.
Nous n’avons quasiment jamais de nouvelles de lui. Il paraît qu’il mange des sauterelles dans le désert et s’habille avec des poils de chameau. Qu’avons-nous fait à Dieu, lui qui nous a donné cet enfant si tardivement, pour être finalement la risée de toute la région?!
On nous dit sans cesse: «Alors votre fils se la joue homme des cavernes?!» On commence même à poser des problèmes à Zacharie: «Ton fils fait honte à ton ministère, il raconte n’importe quoi dans le désert et détourne le peuple de notre enseignement».

Bref, je ne sais pas trop comment tout cela tournera.
À la grâce de Dieu chère cousine. Embrasse bien tout le monde et en particulier ton grand garçon, garde-le bien ce brave Joshua tant qu’il est encore chez toi et qu’il ne fait pas de bêtises! Zacharie vous embrasse aussi.

Ta chère cousine,
Élisabeth


Oh, chère Élisabeth ! Chère cousine !

Le drame que je pressentais est arrivé. Voilà que mon petit Joshua a quitté la maison. Il nous a dit qu’il partait pour se ressourcer auprès de son Père. Ça n’a pas plu à Joseph tu t’en doutes, parce qu’évidemment Joshua continue à parler son Père pour désigner de son Seigneur… Que va-t-il advenir de lui, il raconte des choses si étranges sur Dieu que je crains qu’un jour il ne lui arrive des problèmes. D’ailleurs rappelle-toi, ça aussi Siméon me l’avait dit à Jérusalem. Oui j’ai peur de n’être qu’au début de mes soucis avec celui-là!

J’arrête maintenant de me plaindre parce que toi aussi, tu as tes ennuis. Nous avons entendu jusqu’ici la réputation que se forge ton fils. Il semblerait qu’il baptise dans le Jourdain des foules entières qui viennent confesser leurs péchés. A mon tour de te dire de ne pas trop t’inquiéter: on dit partout que ton fils est un grand prophète et que, loin de détourner le peuple, il le ramène plutôt au Seigneur! Crois-moi, chère cousine, ce n’est pas si grave qu’il mange des sauterelles grillées, il paraît que dans certains pays, c’est un plat très fin.

Bien sûr, la place normale des enfants est auprès de leurs parents, surtout à votre âge, mais si tu dois être privé de ton fils dans tes vieux jours, c’est peut-être parce que Dieu a un projet plus grand pour lui.

J’ai honte de te dire tout cela alors que vous vous faites tant de souci. Mais je te dois cette franchise, chère cousine, parce que du fond du cœur, je n’arrive pas à soupçonner Jean, lui si droit, si honnête, si ferme même d’être parti pour une autre raison que celle d’avoir répondu à un appel. Rappelle-toi quand il était adolescent, même les collègues de son père trouvaient qu’il prenait la religion trop au sérieux.

Enfin, laissons du temps au temps et voyons ce qu’il advient de tout cela. Joseph se joint à moi pour vous saluer tous les deux.
Bien affectueusement,
Ta chère Marie


Chère Marie,

Voilà que nos soucis se rejoignent…
Il semblerait que Joshua ait fait partie un temps des disciples de Jean.
On m’a rapporté que Joshua l’a enjoint de le plonger dans le Jourdain comme il faisait avec les autres. Quand Joshua s’est relevé, quelque chose de saisissant se serait produit. Je ne t’en dis pas plus pour ne pas que tu crois que je déraille. Les nouvelles sont peut-être déjà arrivées jusqu’à Nazareth.

Peut-être avais-tu raison: je dois cesser de me faire du souci pour mon fils. N’est-ce pas mon devoir de mère de lui permettre de devenir un homme libre?
Même si cette liberté choisie peut l’emmener à avoir bien des ennuis avec les autorités. Je n’ai pas honte de lui, bien au contraire, je suis fière qu’il devienne un homme droit, prêt à assumer les conséquences de ses paroles et de sa foi.

Mais tu comprends: j’ai peur. Peur de ce qui lui arrivera, comme à ton fils d’ailleurs, s’ils continuent de parler avec tant de franchises des pratiques religieuses qui ont cours à Jérusalem. Zacharie commence même à être fier de lui et à se vanter d’être son père. Et pourtant… j’ai quand même le pressentiment d’un malheur. Être honnête avec Dieu et ses frères et sœurs n’est pas toujours sans risque. Tu dois bien me comprendre, toi qu’on commence à appeler « la bienheureuse. »

Peut-être est-ce là notre destin de mère. Souffrir que nos enfants partent loin pour une tâche difficile, dangereuse et aux yeux de beaucoup considérée comme honteuse. Peu importe, je suis fière de nos enfants qui ont choisi la voix du service de Dieu et de leurs prochains…

Embrasse tout le monde,
Ton Élisabeth


Chère Élisabeth,

Sans doute as-tu raison. Je crois que nous avons toutes deux oublié un peu vite les promesses que Dieu nous avait faites avant la naissance de nos fils. C’est qu’il n’est pas facile d’accepter que son enfant prenne des risques pour servir son Dieu! Mais s’il se levait de ce désert dans lequel ils sont tous les deux aujourd’hui, un vent de renouveau qui rafraichisse nos coutumes et nos traditions. Si nous étions à l’aube d’un jour nouveau pour notre peuple grâce au courage de nos enfants et à l’amour qu’ils ont pour notre Dieu. Peut-être qu’avec des hommes comme eux, qui ont le courage de rompre avec les prêtres hypocrites de Jérusalem et les puissants de la Terre nous retrouverons enfin le chemin de liberté et d’amour que Dieu nous a promis.
Quand la jeunesse se met en marche, c’est le monde qui commence à changer.

Advienne que pourra. Je sens que le Seigneur est avec eux et qu’ils sont maintenant les instruments de son projet. Gardons confiance!

Ta Marie


Les autres lettres ont malheureusement été perdues. Ou peut-être n’ont-elles pas encore été inventées…
Ces deux femmes ont vu grandir en leurs fils cette semence du Royaume de Dieu, toute petite graine qui ne demande qu’à se développer.

Laisser émerger, sans permettre à nos craintes de freiner sa croissance.
Oser la liberté, le choix de la Vie quand bien même il faudrait en assumer les conséquences.
Permettre à nos enfants de grandir et de devenir eux-mêmes, leur porter un amour épanouissant et non pas étouffant.

Que Dieu nous donne d’être et de devenir un terreau fertile pour son Évangile!

Amen