Prédication prononcée lors de la cérémonie de Consécration au ministère pastoral de Quentin Beck et Micha Weiss, au temple du Locle le 7 septembre 2025.
Lectures bibliques: Genèse 11,1-9 et 1 Corinthiens 1,18-25
Se définir comme pasteur
Elle fait quoi comme métier ta maman ?… Elle parle.
Elle parle. C’est ce que mon fils avait répondu à son enseignant.
On peut définir de bien des manières le ministère pastoral. Sans doute que Quentin et Micha ont dû faire l’exercice à plusieurs reprises durant leur formation et ils seront encore bien des fois confrontés à la question. Car lorsqu’on inscrit « pasteur » dans la case profession, cela ne passe pas inaperçu. Étonnement, questionnement, curiosité. Cela donne souvent lieu à des échanges intéressants. Cela ne laisse jamais indifférent. Il y a quelques années, l’office protestant de la formation définissait le ministère pastoral en ces termes: expert en théologie articulée à l’expérience humaine.
On ne peut pas en vouloir à mon fils de n’avoir pas servi cette définition à son enseignant. Elle parle était plus spontané… et finalement aussi empreint d’une certaine vérité. Autrefois, on parlait du pasteur comme du ministre de la parole de Dieu, en latin du Verbum Dei Minister, abrégé par les 3 initiales. Mais sans doute que si mon fils avait répondu à son enseignant « VDM », il aurait eu un mot dans le carnet.
Micha et Quentin, vous avez été appelés au ministère de la parole de Dieu. Une vocation que vous avez laissé grandir en vous et qui a trouvé écho auprès des personnes et des groupes que vous avez côtoyés. Aujourd’hui la communauté réunie de l’Église vous reconnaît dans ce rôle et célèbre avec vous ce ministère qui est maintenant vôtre. Vous voilà donc bien experts en théologie articulée à l’expérience humaine. Désormais, on dira de vous que vous parlez.
Mais il me semble qu’il convient de se poser deux questions:
– quelle langue parlons-nous ?
– et qu’avons-nous à dire ?
Quelle langue?
Quelle langue parlons-nous? Cette question n’est de loin pas anodine tant la tentation en Église est d’user d’un langage interne que seules les personnes imprégnées de culture ecclésiale comprennent. Le patois de Canaan est une langue confortable dans laquelle nous nous sentons entre nous. Mais pour bien des gens, nous parlons latin! Une langue qui ressemble à quelque chose qu’on comprend mais dont le sens réel échappe. Des mots qui sonnent creux.
Conscients de cela, nous tentons parfois d’adapter notre langage en adoptant des termes actuels. Parler comme les djeuns. Il n’y a rien de pire, cela sonne faux! Alors quelle langue parlons-nous et quelle langue devons-nous parler?
Dans la Genèse, à la fin du récit du Déluge, Dieu appelle l’humanité à se disperser sur la terre. Et il est intéressant de constater qu’au tout début du récit suivant, celui de la tour de Babel que nous venons d’écouter, l’humanité a fait tout le contraire. De nature, l’être humain aime bien l’entre-soi.
L’humanité a décidé de s’installer en un seul lieu, de bâtir une seule ville, de communiquer avec une seule langue. C’est rassurant. Pas besoin de se confronter à la différence ou de faire le moindre effort pour se comprendre. Tous utilisaient les même mots. Quelle tristesse! La langue unique, c’est la langue pratique. Celle qui permet d’empiler des briques. La langue de l’utilitarisme. Celle où tout le monde utilise les mêmes mots. Le savant comme le sot. Des mots qui se vident de leur sens.
La langue unique ne sera jamais celle de la philosophie ou de la théologie. La langue unique ne sera jamais celle des idées, de la confrontation de celles-ci. La langue unique ne sera jamais celle de l’évocation, de la beauté, de la métaphore, de la parabole et de la poésie. La langue unique ne sera jamais celle de l’ingéniosité, du fourmillement d’idées, de l’humour et des jeux d’esprit. La langue unique est l’assurance de la pensée unique, de l’appauvrissement de l’esprit et de la perte de la liberté.
L’avenir nous dira ce que le développement de l’intelligence artificielle nous réserve. Mais aujourd’hui je m’interroge sur ce point très précis au sujet d’un outil conversationnel unique et mondial.
Une langue pour un projet
L’humanité s’est mise au travail. Et elle a façonné des briques. Des milliers, des millions. Toutes semblables, calibrées, identiques. Pour s’imbriquer au millimètre près dans les constructions de la ville et pour le grand projet : la Tour!
Une tour grande et ambitieuse. Qui permettra à l’humanité de toucher le ciel et de le vider de son dieu pour y prendre sa place. Une tour qui permettra à l’humanité de se faire un nom. Elle qui a oublié que la grâce de l’existence, c’est justement de le recevoir d’un autre, ce nom.
Ironie et génie des auteurs bibliques, le Seigneur, pour voir cette tour qui prétend atteindre le ciel, est obligé de descendre. Il semble qu’il soit encore un plus haut que ce que l’on croyait.
Pour la ville et pour la tour, le texte précise: ils utilisèrent les briques comme pierres de construction. Quelle différence y a-t-il entre des briques et des pierres: les briques sont identiques alors que chaque pierre est unique. Jésus nous a appelés à être des pierres vivantes et non pas des briques. Nous ne sommes pas interchangeables.
Même si vous deux, Micha et Quentin, vous êtes si souvent associés, qu’il vous arrive d’être confondus. Groupe de jeunes, études et stage ensemble. Vos parcours parallèles et votre amitié vous rapprochent. Au point même de trouver vos noms mélangés: Micha Beck et Quentin Weiss. Ou qu’il manque une chambre pour l’un lors des sessions de formation. Mais vous êtes uniques! Pierres vivantes, non pas deux briques de plus. Pour construire avec d’autres l’Église d’aujourd’hui.
Quelle langue parles-tu?
La question était: quelle langue parlons-nous? Et il semble clair qu’il convient de se garder de parler une langue unique. La diversité des langages est l’assurance de la richesse des relations humaines, de l’expression de la théologie et de l’authenticité de la rencontre.
Le ministre de la parole de Dieu ne devrait pas se demander en premier lieu, quelle langue je parle? Mais quelle langue parle celui ou celle que je rencontre. Car il s’agit moins de prononcer une parole sur Dieu que d’annoncer qui est Dieu pour l’autre et comment il vient à sa rencontre. Avant de parler, il est nécessaire d’écouter et de chercher à comprendre.
Quentin et Micha, vous destinez tous les deux une partie importante de votre ministère au service de la jeunesse. Les ados sont fantastiques. Ils ne nous autorisent pas à nous endormir dans des discours convenus et s’ils sentent que nos mots sont vides, ils nous le font immédiatement sentir. Avec elles et eux, il n’y a pas d’autre voie que le langage authentique. Et ça, c’est infiniment précieux pour un VDM!
Puisque j’ai maintenant 20 ans de ministère en paroisse et auprès des jeunes, je peux me permettre un conseil de vieille donneuse de leçon: gardez-vous de penser que la nécessité d’ajuster son langage existe plus avec les ados qu’avec n’importe lequel de nos contemporains!
Qu’avons-nous à dire?
La seconde question est: qu’avons-nous à dire? Et là, je vais vous faire une confidence. Je ne sais pas si c’est bien que je vous le dise. A vous Quentin et Micha, ça risque de vous faire un peu déchanter. Mais surtout à toutes les personnes présentes ici, c’est un peu révéler un secret bien gardé des pasteurs. Mais bon, puisqu’on est entre nous (ah c’est rassurant… vous voyez comme on retombe vite là-dedans…)
Donc je me lance: en réalité, les pasteurs disent toujours la même chose. Eh oui, c’est vrai. Vous pensiez peut-être qu’il y avait plein de choses à dire et qu’après toutes ces années de théologie, on avait des quantités de paroles à partager. Mais c’est faux. Il n’y a qu’un seul message.
Nous, nous proclamons le Christ crucifié. Voilà, c’est tout. 23e verset du 1er chapitre de la 1re épître aux Corinthiens. Tout est dit: Quant à nous, nous annonçons le Christ cloué sur la croix. Il n’y a que cela. C’est le fondement de tout. Et il n’y a rien d’autre à annoncer.
Mais si on prend au sérieux cette proclamation, alors ça change tout. Porteurs et porteuses de ce message, nous les chrétiennes et les chrétiens, nous vivons au plein cœur d’un paradoxe. Et je dis à dessein les chrétiennes et les chrétiens et pas uniquement les pasteurs et les diacres. Car proclamer cette parole relève de la vocation de toute personne qui place sa foi en Jésus-Christ.
Une folie
Paradoxe car nous sommes des personnes capables de raisonnements mais nous affirmons un truc complètement fou. Prenons un peu la mesure de ce que nous disons.
Nous disons que Dieu, qui dans toutes les cultures du monde, est considéré comme un être suprême et puissant,… que Dieu est devenu un être humain et qu’il a été lamentablement exécuté comme le dernier des malfrats.
Nous disons que celui que nous reconnaissons comme Dieu n’est resté mort que quelques jours et qu’ensuite il est revenu à la vie.
Nous disons que nous pouvons aujourd’hui encore placer notre confiance en cet homme et que la relation que nous entretenons avec lui transforme notre existence.
Nous disons que nous avons confiance dans le fait que la vie humaine ne se limite pas à ce que nous en savons et que nous pouvons dès à présent vivre quelque chose de l’ordre de ce que nous vivrons pleinement un jour.
Mesdames et Messieurs, nous sommes fous! l faut vous en rendre compte. C’est indispensable. Car si nous perdons de vue que ce que nous disons échappe à la seule raison humaine, nous tombons dans les travers déjà connus au premier siècle: soit le besoin de preuves, soit celui de se raccrocher aux seules capacités cognitives.
Nous disons la foi en Jésus-Christ crucifié ressuscité et cela est folie. La folie qui change tout. Et qui donne à la vie humaine vécue dans la foi cette valeur inestimable.
Des fous qui parlent
Alors ces deux questions:
– Quelle langue parlons-nous? Toutes celles de la terre et avant tout celle de l’autre.
– Qu’avons-nous à dire? Une folie et cela uniquement.
Voilà un beau programme, non?!? Qu’en dites-vous Quentin et Micha?
Croyez-moi, c’est génial. Tout le défi consiste à comprendre quel langage parle celui ou celle à qui nous nous adressons. Quelle est sa réalité, sa vie, ses questionnements. Et trouver les mots, les images, les gestes ou les silences qui permettent de refléter pour elle, pour lui, le message fondamental de l’Évangile.
Vous échouerez. Souvent. Comme nous échouons toutes et tous. Mais parfois aussi vous y parviendrez. Et l’Esprit saint fera son œuvre. Parfois vous vivrez la grâce de percevoir chez l’autre une foi qui grandit, parfois vous n’en saurez rien et c’est aussi bien ainsi.
Que votre ministère soit béni! Et que soit béni le ministère de chrétienne et de chrétien de chacun et chacun d’entre nous.
Quentin et Micha, soyez des pierres vivantes.
Parlez!
Et soyez fous!
Amen
Cadeau symbolique offert aux deux consacrés. Merci à mon amie Catia pour la création et la réalisation. Ses créations sont à retrouver sur sa page instagram Catia D’Co.