On réduit parfois les dessins animés dans la catégorie des divertissements pour enfants de manière un peu dédaigneuse. S’il est vrai que l’industrie télévisuelle en produit des quantités de qualité discutable, voire médiocre, ne tombons pas dans le piège de nous interdire la curiosité d’en aborder certains avec des yeux de cinéphiles. Certains films d’animations sont de vrais bijoux et méritent pleinement leur place dans le 7e art. C’est le cas du magnifique film Les Croods sorti en 2013.
Je propose ici quelques pistes de réflexions et de lectures théologiques du film. Une proposition d’animation à vivre avec des pré-ados viendra dans un prochain billet. L’écriture de ce billet doit beaucoup à des discussions tenues il y a plusieurs années déjà avec mes collègues et amis Martin Nouis et Etienne Guilloud. Merci à tous les deux pour vos esprits brillants qui deviennent merveilleusement féconds quand l’Esprit souffle 🙂
Ce billet parlera probablement plus à celles et ceux qui ont déjà vu le film. Si ce n’est pas votre cas, il pourrait vous donner envie de le visionner mais sachez que la lecture des lignes ci-dessous divulgâche la fin de l’histoire 😉
Intro
Ce sont les studio Dreamworks qui ont produit Les Croods, ce qui ne constitue pas une grande surprise. Cette maison a produit plusieurs films directement inspirés de récits bibliques:
- Le Prince d’Egypte
- Joseph, le roi des rêves
ou traitant de thématiques fortement théologiques et éthiques:
- Les cinq légendes (la foi)
- La Route d’Eldorado (l’incarnation)
- Shrek (l’amour au-delà des apparences)
Avec Les Croods, les studios Dreamworks nous ont offert un film qui réussit à allier l’humour et la légèreté attendus d’un film d’animation divertissant et plaisant à une grande profondeur et de beaux moments d’émotion.
Le prologue
Le film débute par un monologue en voix off de l’héroïne Eep:
Avec chaque soleil vient un nouveau jour. Un nouveau commencement. L’espoir que ça ira mieux aujourd’hui qu’hier. (…) La plupart du temps nous restons dans notre grotte. Nuit après nuit, jour après jour. (…) Quand nous sortons, c’est pour lutter dans un monde dur et hostile. (…) Mais maintenant je vais vous raconter comment tout a changé en un instant, car nous ne le savions pas encore mais notre monde touchait à sa fin.
Dès les premières paroles, résonne en écho le prologue de l’évangile de Jean:
Au commencement, lorsque Dieu créa le monde, le Verbe existait déjà. (…) En lui était la vie et cette vie donnait la lumière aux êtres humains. La lumière brille dans l’obscurité, et l’obscurité ne l’a pas reçue.
Évoqué dès les premiers instants du film, le thème de la lumière traversera tout le film, ouvrant un champ symbolique immensément riche et d’une grande profondeur existentielle.
La lumière et l’obscurité
Opposée aux ténèbres de la caverne, la lumière attire Eep et on le saisit dès les premières minutes du film. Lorsque la famille s’aventure à l’extérieur de la caverne, Eep se dépêche de se prélasser au soleil et soupirant « Ah, ça faisait une éternité qu’on était dans cette caverne! », ce à quoi le père de famille Grug rétorque: « Trois jours, c’est pas une éternité ». Comment ne pas y voir un clin d’œil au tombeau du Christ ?! Eep aspire à la vie en plénitude, autrement dit à la résurrection, alors que son père se complet dans l’obscurité du tombeau.
Dans la nuit suivante, Eep fait la connaissance de Guy. Leur rencontre a lieu parce que Eep suit la lumière produite par les éclats de la torche de ce dernier qui viennent lécher les murs de la caverne. Son attirance pour la lumière et sa curiosité la conduisent à enfreindre une des lois fondamentales de Grug: on ne sort par la nuit.
Il me semble impossible ici d’évoquer tous les passages et de reproduire tous les dialogues où la lumière et l’obscurité sont évoquées, que ce soit par la parole ou par l’image. Je me contente de quelques moments qui me semblent significatifs.
A la fin de la première journée du film
Gran: Plus que deux doigts de soleil!
Ugga: Rentrons! Vite, vite, vite!
Grug: Allons, allons on se dépêche. La nuit apporte la mort, on le sait.
(…)
Grug: Qu’est-ce qu’elle (Eep) a contre cette caverne? On a tout le confort.
Ugga: Elle manque un peu de lumière, Grug…
Paradoxalement, les Croods savent que la nuit apporte la mort et pourtant, ils cherchent toujours à se réfugier dans leur caverne. La caverne n’est rien d’autre qu’un lieu dans lequel il ne peut que faire nuit. Les scénaristes mettent dans la bouche de Grug une vérité alors même que toute sa vie est dirigée dans le sens contraire. On trouve ce même trait narratif dans les évangiles lorsque des adversaires de Jésus affirment sur fond de sarcasme des vérités fondamentales sur le Christ:
Nous savons, Maître, que tu dis la vérité sur la manière de vivre que Dieu demande… (Matthieu 22,16).
Jésus relève leur hypocrisie mais toujours est-il qu’ils ont dit quelque chose de vrai sur le Christ.
La rencontre entre Eep et Guy
Ils se battent et la torche menace de s’éteindre. Guy dit alors: « S’il te plaît, je déteste l’obscurité ». Et instantanément cette parole a un effet sur Eep qui ouvre de grands yeux et cesse de se battre.
Le premier soir hors de la caverne
Les Croods font face au félin menaçant. Celui-ci détale instantanément lorsque le soleil se couche ce qui fait dire au petit frère Thunk: « Ha ha, il a peur du noir! »… avant de prendre conscience que: « … mais nous aussi on a peur du noir ».
On pourrait encore relever bien d’autres moments du film, je m’arrête ici pour les exemples.
Lumière et obscurité dans l’évangile de Jean
Vivre dans la lumière, c’est ce à quoi aspire Eep. Ce sera la dernière parole du film:
Notre monde est toujours dur et hostile. Mais maintenant nous sommes sûrs que les Croods vont s’en sortir, parce que nous avons changé les règles. Celles qui nous obligeaient à vivre dans l’obscurité. Et aussi grâce à mon père qui nous a appris que tout le monde peut changer. Désormais nous vivrons ici, où l’on peut suivre la lumière.
Le thème de la lumière et l’opposition à l’obscurité traversent aussi l’évangile de Jean. Dans le quatrième évangile, Jésus est la lumière. Par lui, nous est offerte la vie en abondance, celle qui a du sens. La lumière permet de sortir de toutes les obscurités: de l’obscurantisme, des enfermements physiques, psychiques et spirituels. Relevons quelques paroles du quatrième évangile :
- La lumière est venue dans le monde, mais les êtres humains aiment mieux l’obscurité que la lumière (Jean 3,19)
- Je suis la lumière du monde. Celui qui me suit aura la lumière de la vie et ne marchera jamais dans l’obscurité. (Jean 8,12)
- Tout le chapitre 9 qui raconte la guérison d’un aveugle de naissance, et l’aveuglement spirituel des pharisiens
- Si quelqu’un marche pendant le jour, il ne trébuche pas parce qu’il voit la lumière du monde. Mais si quelqu’un marche pendant la nuit, il trébuche, parce qu’il n’y a pas de lumière. (Jean 11,9-10)
- La lumière est encore parmi vous, mais pour peu de temps. Marchez pendant que vous avez la lumière, pour que l’obscurité ne vous surprenne pas, car celui qui marche dans l’obscurité ne sait pas où il va. Croyez donc en la lumière pendant que vous l’avez, afin que vous deveniez des hommes (et des femmes) de lumière. (Jean 12,35-36)
La peur et la confiance
La nuit apporte la mort, affirme Grug. Et la peur de la mort dirige les faits et gestes des Croods. Tout converge dans le seul but d’assurer la survie. Le père de famille cultive cette peur en racontant des histoires qui se terminent toujours de la même manière: … et il est mort!
Grug: La peur nous sauve la vie, Eep. Ne jamais pas avoir peur.
Forcés par les événements extérieurs à se confronter à certaines de leurs peurs, les Croods découvrent qu’ils peuvent surmonter les épreuves, faire face aux dangers, affronter les problèmes et même que la vie a plus de saveur ainsi, car lorsque toute action n’est plus dirigée par la peur, se présentent des situations qui viennent enrichir l’existence. L’exploration de nouveaux horizons, les découvertes et inventions, l’admiration de paysages splendides etc nourrissent la vie des Croods qui tout à coup ont beaucoup plus de choses à se raconter le soir autour du feu.
Le thème de la peur revient à un moment clé du film, lorsque Grug lance les membres de la famille de l’autre côté du précipice. Dans les bras de son père, Eep lui dit « j’ai peur ». Dans un seul élan, Grug lui répond « ne jamais avoir peur » puis la lance du côté de la vie.
Qui est Guy?
Guy en Anglais signifie le « gars » et Eep se prononce presque comme Eve. On peut y voir une allusion au premier couple humain. Eep et Guy sont les figures de l’humanité, ils sont tout homme ou toute femme qui cherche du sens à son existence, qui se laisse pousser vers demain par la lumière. Dans le récit de la Genèse, Adam et Eve sont chassés du jardin pour entrer dans une vie rude (travail à la sueur de son front, enfantement douloureux). Il y a comme un retournement avec Guy et Eep qui se trouvent chassés de leur monde qui s’effondre pour entrer dans celui où règne la plénitude de la lumière.
Dans la théologie de Paul, Jésus est présenté comme le nouvel Adam qui permet de rétablir la relation rompue: en Adam l’être humain s’est séparé de Dieu, en Jésus-Christ (nouvel Adam) l’être humain s’est uni à nouveau à Dieu.
On retrouve aussi chez Guy tout une dimension prophétique dans ce qu’il dit de « demain » qui est très proche de certaines paroles bibliques à propos du Royaume de Dieu, ou dans le fait qu’il montre le chemin vers la lumière, tout comme Jean-Baptiste : « Dieu envoya son message, un homme appelé Jean. Il vint comme témoin, pour parler de la lumière. Il vint pour que tous croient grâce à ce qu’il disait. Il n’était pas lui-même la lumière, il était le témoin qui vient pour parler de la lumière. » (Jean 1,6-8)
Lorsqu’il annonce la fin de leur monde, on entend en écho quantités de textes prophétiques de l’Ancien Testament. Le dialogue du film:
Guy: Je t’explique, Eep. Le monde est fini. J’appelle ça: La fin!
Eep: Comment tu le sais?
Guy: Je l’ai vu. Ça se rapproche. D’abord la terre va trembler. Puis elle va se déchirer. Tout va s’effondrer. Le feu. La lave. Je ne veux pas avoir l’air de dramatiser mais… ahhhhh! Crois-moi, tout ce qu’il y a autour de nous, tout ce qu’on a sous nos pieds disparaîtra. Il faut qu’on monte plus haut. Je connais une montagne. Par là. C’est notre seule chance. Viens avec moi!
Deux citations bibliques:
La terre se crevasse, elle vacille, elle s’écroule, titubant comme un ivrogne, branlante comme une cabane (Esaïe 24,19-20).
Aussitôt un grand vent souffla, avec une telle violence qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers… après le vent, il y eut un tremblement de terre, … après le tremblement de terre il y eut un feu (1 Rois 19,11-12).
La montagne est, dans le monde de la Bible, le lieu de la révélation:
- Moïse au Sinaï
- Elie à l’Horeb
- Jésus dans le sermon sur la montagne (Matthieu 6 à 9)
- Jésus crucifié au sommet du Golgotha
Je connais une montagne, dit Guy. Celle-ci apparaîtra plusieurs fois dans le film. Haute et fendue en deux, elle est le point d’horizon. Elle symbolise aussi le passage étroit (Matthieu 7,14).
Apocalypse et eschatologie
Le monde des Croods est en train de disparaître. Les montagnes s’effondrent, les rochers se fissurent… au fur et à mesure qu’ils avancent disparaît ce qu’ils laissent derrière eux. L’impossibilité de revenir en arrière est clairement posée, de même celle de rester au même endroit. Ils ne peuvent pas ne pas avancer. L’immobilisme n’est plus une option.
Dans ces circonstances apocalyptiques advient une promesse eschatologique par le personnage de Guy qui veut « s’envoler jusqu’à demain, un endroit où les soleils sont si nombreux qu’on ne peut plus les compter ». La vie éternelle.
Guy: Il était une fois, une jeune et magnifique tigresse. Elle vivait dans une caverne avec toute sa famille. Son père et sa mère lui disaient: tu peux aller partout où tu veux mais n’approche jamais de la falaise car tu pourrais tomber (référence à l’arbre interdit dans le jardin d’Eden, Genèse 2,15-16).
Grug: Et elle est morte! Ouais pas mal.
Guy: Mais un jour que personne ne la regardait, elle se dirigea vers le bord de la falaise et plus elle s’en approchait, mieux elle entendait, mieux elle voyait, mieux elle sentait. Finalement elle s’arrête tout au bord de la falaise et elle voit une lumière. Et là, elle tend la main, elle se penche, elle glisse…
Grug: Et elle meurt.
Guy: Et elle s’envole.
Thunk: Et jusqu’où elle va?
Guy: Jusqu’à demain.
Eep: Jusqu’à demain…
Guy: Un endroit où les soleils sont si nombreux qu’on ne peut pas les compter.
Thunk: Ça doit drôlement briller.
Guy: Un endroit qui ne ressemble ni à aujourd’hui ni à hier. Et là-bas, tout est mieux que nulle part ailleurs.
Grug: Demain c’est pas un endroit. C’est… c’est… On peut pas le voir, déjà.
Guy: Ah si. Ah si si. Moi je l’ai vu. Et c’est là-bas que je vais.
La confusion entre les dimensions temporelle et spatiale est très réussie à mon sens. On comprend souvent la vie éternelle comme une vie qui se déroule sans fin alors que dans la Bible l’éternité n’est pas une durée mais une qualité. La compréhension spatiale que Guy a de « demain » nous déplace dans notre compréhension de la vie éternelle ou de la vie en plénitude promise par Dieu. Pour y entrer, on est obligés de se mettre en route et de marcher vers demain.
Plus tard, Eep comprend en voyant les étoiles (qu’elle n’a jamais pu observer étant donné qu’à la tombée du jour les Croods se sont toujours enfermés dans leur caverne), que « demain, c’est au ciel, c’est là que nous serons sauvés. »
La Loi
Si il y a une chose dont les Croods sont convaincus au début du film, c’est que s’ils sont en vie, au contraire de toutes les autres familles qu’ils ont connues, c’est à cause de leur respect strict des règles. En parlant de son père, Eep dit dans le prologue:
Les Croods s’en sont tirés grâce à mon père. Il était fort et il respectait les règles. Celles qui étaient peintes sur les murs de la caverne: ce qui est nouveau c’est mal, la curiosité c’est mal, sortir la nuit c’est mal, en gros tout ce qui est amusant c’est mal.
Dans le Nouveau Testament, ce sont les pharisiens qui incarnent le respect de la loi. Ils s’opposent régulièrement à Jésus au nom de la Loi et de son application à la lettre, par exemple:
- Lors de la guérison un jour de sabbat (Matthieu 12,9-14)
- ou en réaffirmant des règles de pureté religieuse qui devraient obliger un maître à ne pas côtoyer de personne de mauvaise réputation (Luc 15,1-2).
- Jésus interpelle les pharisiens sur le sens de la loi: « c’est le sabbat qui a été fait pour l’être humain et non pas l’être humain pour le sabbat » (Marc 2,27).
- De même que l’apôtre Paul écrivait que la lettre tue mais que l’esprit vivifie (2 Corinthiens 2,6), la question principale n’est pas la loi en elle-même mais ce qu’on en fait. Lorsque la loi sert à protéger, elle est bonne. Mais lorsqu’elle commence à enfermer et à rendre la vie impossible, elle devient nuisible.
Grug avait fini par faire un absolu des lois qui avaient permis la survie de sa famille. Au point qu’il avait oublié la finalité: la vie! A la différence de la survie qu’il est nécessaire d’assurer dans certains moments de crise, la survie n’est pas le but de l’existence. Et c’est Eep qui le dira très clairement à son père:
Eep: Arrête de tout le temps t’inquiéter pour les autres papa.
Grug: Mais c’est mon boulot de m’inquiéter pour vous et de faire respecter les règles.
Eep: Mais nos règles ne servent plus à rien ici.
Grug: C’est grâce à elles qu’on est encore en vie.
Eep: Mais c’est pas ça la vie. La vraie vie, c’est… autre chose que de rester enterrés pour échapper à la mort.
Vivre, c’est bien plus qu’échapper à la mort. Se terrer dans l’obscurité, ce n’est pas la vie!
Il a fallu un cataclysme pour provoquer ce changement de rapport à la loi. Eep l’évoque à la fin du prologue : « Mais maintenant je vais vous raconter comment tout a changé en un instant, car nous ne le savions pas encore mais notre monde touchait à sa fin et aucune règle sur le mur de la caverne ne nous avait préparé à ça. » Si le monde ne s’était pas effondré, je ne pense pas que Grug aurait été en mesure d’entendre les appels de sa fille à repenser son rapport à la loi. Les circonstances les y obligent. Les règles qui enferment dans l’obscurité (la lettre qui tue) volent en éclat et de nouveaux systèmes de valeurs se mettent en place au sein de la famille dont Guy fait désormais partie: la loyauté et l’amour. Ce dernier étant désormais exprimé en paroles (« je t’aime ») et en geste (« j’appelle ça un câlin parce que ça rime avec machin »).
Le saut de la foi
Les Croods font deux fois le grand saut dans l’inconnu. La première fois, au début du film lorsque les éboulements ont détruit la caverne et qu’ils sont acculés : d’un côté le vide, de l’autre la menace d’une bête sauvage. Ils sautent dans l’inconnu.
Gran: Où sommes-nous?
Grug: Je ne sais pas exactement. En bas. Plus bas quelque part. Mais ce qui est sûr c’est que nous ne pouvons pas faire le chemin en sens inverse.
Ce n’est pas par choix, par conviction ni par volonté de changement qu’ils font le pas, mais les voilà plongés dans une nouvelle réalité sans retour possible.
Le deuxième grand saut se fait de manière choisie. Le soleil étant de l’autre côté de la crevasse, Grug va lancer les Croods vers la lumière ce qui provoque la résistance de sa femme. On ne sait pas ce qu’il y a là-bas, peut-être rien…
Ugga: Grug, écoute-moi. Il faut qu’on retourne à la caverne.
Grug: Non, plus d’obscurité. On arrête de se cacher. Finies les cavernes. C’est quoi le but de tout ça?… Suivre la lumière. Je ne peux pas me changer, je n’ai pas beaucoup d’idées mais j’ai beaucoup de force. Et si on veut y arriver on en aura besoin.
Ugga: Non! On ne sait pas ce qu’il y a là-bas. Peut-être qu’il n’y a rien. Non, c’est trop dangereux.
Grug: C’est un risque à prendre.
Guy: Alors je prends ce risque.
(…)
Grug: Allez, Thunk, à ton tour.
Thunk: Et toi papa, tu restes là?
Grug: Quand tu seras sauvé, je serai sauvé.
Ce deuxième grand saut est le saut de la foi. Sans certitudes, mais c’est un risque à prendre puisque le but de la vie est bien là, non? Aller vers la lumière!
La conversion
Le personnage qui incarne le plus manifestement la conversion est naturellement celui de Grug. Entièrement inscrit dans un système de pensée et dans le mode de vie qui en découle, il est celui qui subit le plus de remises en question. Bousculé dans tout ce qu’il a mis en place pour assurer la survie (et non la vie, c’est bien ce que lui reproche Eep) de sa famille, Grug est le personnage qui opère le plus grand changement, une transformation profonde et existentielle qui sera douloureuse mais à la fin pleinement aboutie. A mon avis, le personnage de Grug est un des grands héros de cinéma ayant vécu une conversion.
Chef de famille, il comprend son rôle et sa mission comme celui qui doit protéger les siens et ce rôle lui est reconnu par les autres membres de la famille. Dans la prologue, Eep l’affirme clairement: « Les Croods s’en sont tirés grâce à mon père. Il était fort et il respectait les règles. »
C’est la famille qui signifiera clairement le changement à un moment donné, alors que lui-même n’y est pas prêt. Mais toute sa vie perd son sens s’il n’a plus à protéger les siens.
Eep: Non!
Ugga: C’est fini les cavernes.
Grug: Quoi?
Gran: On va grimper sur le soleil et galoper jusqu’à demain avec Guy!
Grug: Quoi?… mais… et vous allez tous y aller?… Thunk?
Thunk: Je suis désolé, papa.
Des bras immenses
Ses bras sont démesurément grands. Ils lui permettent de tenir ensemble toute la famille. Symboliquement en les protégeant lorsqu’il fait usage de sa force pour déplacer des rochers ou en lançant des projectiles sur les bêtes qui les attaquent, mais aussi physiquement en les tenant tous ensemble dans ses bras. Une scène touchante exprime le changement qui est en train de s’opérer en lui, lorsqu’il se retrouve seul. Grug dessine sur la paroi d’une caverne les membres de sa famille et les entoure de ses bras immenses. Un geste qui devient une étreinte. Les bras qui enfermaient les Croods deviennent ceux qui les embrassent.
De la bestialité à l’humanité
La conversion de Grug est manifestée par un rapport au monde et aux autres qui se transforme petit à petit de la bestialité de l’homme des cavernes à l’humanité d’un père, époux et homme en lien avec les autres.
Au début du film, le rapport aux animaux est uniquement conflictuel: chasse, combat, vol d’un œuf pour se nourrir. Le premier contact avec les singes du monde « d’en bas » est immédiatement agressif (on verra plus tard Guy les approcher en leur tendant des bananes ce qui pacifie grandement le contact) et l’idée d’avoir un animal de compagnie relève de l’inconcevable.
Gran: J’ai besoin d’un petit en-cas.
Guy: Ne faites-pas ça! (…) Il ne se mange pas, c’est mon animal de compagnie.
Gran: Ça veut dire quoi de compagnie?
Guy: Une bête qu’on peut pas manger.
Gran: Haha, nous on appelle ça des enfants.
Grug: C’est pas normal, ça, d’avoir une bête de compagnie. C’est pas humain!
Au fur et à mesure que l’humanité des Croods se développe, leur rapport aux animaux change. Jusqu’au moment suprême où Grug et le lynx bleu se retrouvent à se rassurer l’un l’autre. Lorsque Grug inventera un moyen de passer de l’autre côté, il prendra avec lui son nouvel animal de compagnie et n’hésitera même pas à descendre de son engin volant pour récupérer Douglas et les autres animaux, transformant ainsi le véhicule volant en sorte d’arche de Noé.
Les idées
La transformation de Grug est aussi profondément marquée par son rapport à la notion d’idée. D’abord dénigrée chez Guy puisque Grug ne jure que par la force. C’est par jalousie envers le jeune homme que Grug essaiera d’abord d’avoir des idées, mais celles-ci sont maladroites et idiotes. Lorsqu’ils se retrouvent tous les deux dans le goudron, Grug fait un bout de chemin dans la direction de Guy en l’encourageant à avoir une idée. Ce n’est qu’à la fin lorsqu’il se retrouve seul qu’il essaie dans un premier temps de se demander ce que Guy aurait fait à sa place, puis en arrive à se demander ce qu’il pourrait faire lui. Un moment clé dans sa conversion. Grug n’a plus besoin d’exister uniquement par sa force, il peut développer une pensée propre.
Le labyrinthe
La scène du labyrinthe est très fortement chargée symboliquement. Séparés par la force des choses, les membres de la famille Croods se trouvent contraints de s’en sortir par eux-mêmes.
- Ugga, Gran et Sandy suivent un insecte qui d’instinct vole vers l’extérieur du labyrinthe (la lumière). Elles observent le monde qui les entoure, et savent être créatives pour déjouer le piège des plantes carnivores.
- Thunk, dans toute la maladresse qui le caractérise, apprivoise Douglas le premier animal de compagnie des Croods. Rassuré par sa présence, il prend de l’assurance et trouve une sortie.
- Eep et Guy qui, semble-t-il, n’ont jamais douté de leur capacité à trouver une sortie, profitent de ce moment d’intimité pour se rapprocher l’un de l’autre.
Seul Grug ne parvient pas à trouver d’issue au dédale. Son incapacité à sortir du labyrinthe est le signe de son enfermement. Il tourne en rond et revient toujours à son point de départ. Contrairement aux autres Croods qui ne s’en sortent pas si mal, osent évoluer et développer de nouvelles manières d’être au monde, il s’enterre toujours plus profondément dans son obscurité. Il est encore trop tôt pour sa conversion, mais les choses et les gens changent autour de lui.
Le sacrifice
Autour du personnage de Grug, il y aurait beaucoup à dire. Relevons encore la dimension du sacrifice de ce personnage qui oriente toute sa vie pour sa famille et en arrivera à dire à son fils: « Quand tu seras sauvé, je serai sauvé » avant de le lancer du côté du soleil quand bien même il sait très bien que personne ne pourra le lancer lui. Ayant trouvé une idée pour pouvoir tout de même passer de l’autre côté, il descend de son véhicule pour sauver les animaux, agissant ainsi avec les bêtes de la même manière qu’il l’a toujours fait avec les membres de sa famille.
Écoute pastorale
Je fais ici une petite digression. Il ne s’agit pas d’une piste d’interprétation théologique mais d’un moment du film qui m’interpelle moi la pasteure.
Après que Grug a fait passer à toute la famille le précipice, il reste seul de l’autre côté et la terre cède sous ses pieds. Les membres de la famille ont une perception brouillée par les nuages de poussières et le fracas des rochers et bientôt, ils ne parviennent plus ni à voir ni à entendre Grug. On comprend à leur silence qu’ils se résignent à l’idée qu’il est mort. Eep s’acharne à souffler dans son coquillage dans l’espoir d’entendre son père lui répondre. Les autres membres de la famille savent que ses appels resteront sans réponse. Ils se sentent démunis face à la manière dont Eep vit la mort de son père. Mais pressés par l’urgence de devoir s’éloigner de cette terre qui s’écroule, Guy engage le mouvement. Gran, la grand-mère, se dévoue: « Je vais lui dire » et s’approche de Eep.
Il se passe à ce moment là quelque chose d’extrêmement intéressant et de fort. Gran s’approche de Eep et… ne lui dit rien. Elle se tient à ses côtés en silence et échange un regard. Eep prise de larmes n’arrive même plus à souffler dans son coquillage. On croit alors que Gran va dire quelque chose, mais elle se tait puis à son tour souffle dans son coquillage. Ce geste ravive chez Eep le mouvement qui reprend le sien et souffle à nouveau. La famille s’approche, ils posent une main sur l’épaule de Eep et soufflent tous dans leur coquillage. Après quelques instants, ils cessent naturellement de souffler. Ce geste collectif, rituel, permet alors à Eep de dire ce qu’elle a sur le cœur : « Je n’ai pas eu le temps de lui dire… »
Cette scène peut passer inaperçue dans le film mais je la trouve d’une grande finesse. Gran fait ici preuve d’une grande justesse. Sans parole, elle parvient à la fois à rejoindre Eep dans ce qu’elle est en train de vivre et à la faire avancer dans son chemin de deuil. En se tenant en silence à côté d’elle et en transformant son geste, elle permet à sa petite fille et à toute la famille d’évoluer. Du cri désespéré qui s’évanouit dans le néant, Gran fait du soufflement dans le coquillage une musique communautaire et rituelle qui permet de dire adieu.
Conclusion
Il y aurait certainement d’autres choses à dire sur ce film, en analysant le personnages ou en faisant des liens avec des récits bibliques ou d’autres héros de cinéma. Toutes vos réflexions, observations, compléments et remarques m’intéressent. Écrivez-moi et je compléterai avec joie ce billet avec vos apports!
Un autre billet qui propose une lecture théologique d’un film: Jérémie et le Roi.