Prédication du dimanche 6 septembre 2015 à Bevaix.
Textes bibliques: Exode 16,11-18 et Marc 8,1-9.
Chers amis, dans le monde, beaucoup de choses importantes passent par l’estomac! Et le monde de la Bible n’est pas bien différent de notre monde actuel sur la question: quand les ventres ne sont pas rassasiés, les humeurs s’échauffent.
Le livre de l’Exode raconte que cela fait 2 mois et demi que les Hébreux errent dans le désert et qu’ils sont en manque. « Si seulement le Seigneur nous avait fait mourir en Égypte quand nous nous réunissions autour des marmites de viande et que nous avions assez à manger! » Ex 16,3
Oh combien les ventres creux aliènent la pensée! Le peuple a faim et s’en va jusqu’à regretter le temps de l’esclavage, à idéaliser le passé qui n’était somme toute… pas si terrible… , à en vouloir à Moïse et Aaron de les avoir conduits sur le difficile chemin de la liberté.
Le Seigneur entend, sinon leurs gargouillis, en tout cas leur plainte, et promet: « Ce soir, vous mangerez de la viande, et demain matin vous aurez du pain en suffisance. » Ce pain, ce sera la manne.
Nourriture tombée du ciel et qui permettra au peuple de survivre dans le désert pendant les 40 années à venir. Cette nourriture si extraordinaire qu’elle va jusqu’à éclipser les cailles. Ce peuple rêvait tant de viande et pourtant, on ne nous raconte rien de ce repas. Seulement ces quelques mots: « le soir, des cailles arrivèrent et se posèrent sur tout le camp »…
Rien ne vaut du bon pain
Le pain est et a toujours été absolument fondamental. Il est le symbole de toute nourriture. Nous redisons la place du pain dans notre vie quand nous prions Dieu de nous donner aujourd’hui notre pain de ce jour. Nous le partageons, le rompons en son nom. Nous nous en nourrissons quotidiennement. Le pain a symboliquement cristallisé l’incompréhension de la noblesse face aux couches populaires. On connaît cet épisode de la Révolution française et la réponse de Marie-Antoinette lorsqu’on lui annonce que le peuple n’a plus de pain. « Eh bien, qu’ils mangent de la brioche! »
Dans le monde de la Bible, le pain occupe une place toute particulière. Le récit dit de la multiplication des pains en est une illustration. Savez-vous combien de fois dans le Nouveau Testament nous retrouvons cette histoire ?!?
4? comme le nombre d’évangiles?… mais rares sont les récits que l’on trouve chez tous les 4 évangélistes, à part le récit de la Passion.
3? chez les synoptiques?…
Eh bien figurez-vous que nous pouvons lire cette histoire par moins de 6 fois dans le Nouveau Testament! Un fois chez Luc. Une fois chez Jean, qui introduit ainsi la parole de Jésus « je suis le pain de vie ». Et deux fois chez Marc ainsi que chez Matthieu. Surprenant, n’est-ce pas, de la part de Matthieu et surtout de Marc dont le récit est court et où chaque mot semble pesé, de raconter deux fois la même histoire! La même…? Pas tout à fait. Les quelque différences entre les récits laissent assez rapidement comprendre au lecteur averti l’intention de l’auteur de l’évangile. Mais avant de regarder les différences, voyons cette histoire de plus près.
Tant d’estomac à nourrir
Où que Jésus aille, de grandes foules s’attroupent pour écouter son enseignement. De ces personnes assemblées autour de lui, Jésus se sent responsable. Il ne peut pas, sous prétexte qu’il a fini de s’adresser à eux, renvoyer ces gens chez eux. Il ne peut se désintéresser de leur réalité. Cette foule n’est pas une masse informe et anonyme, ce sont des hommes, des femmes, peut-être aussi des enfants. Des familles qui lui font face, qui sont venues jusqu’à lui et qui vont devoir reprendre la route. Jésus ne peut simplement se retourner et faire comme si toutes ces personnes n’existaient plus sous le prétexte seulement qu’elles ne sont plus dans son champ de vision. « J’ai pitié de ces gens » dit Jésus. Littéralement, je suis ému aux entrailles.
À cette émotion, cette réaction viscérale et fondamentalement humaine, les disciples opposent leur impuissance. « Où pourrait-on trouver de quoi les nourrir dans cet endroit désert? »
Que voulez-vous que nous fassions?…
Nous n’avons pas les moyens…
Nous ne pouvons tout de même pas accueillir toute la misère du monde…
Naturellement, l’actualité résonne fortement. Ces populations venues de loin, non pas cette fois pour écouter le discours d’un maître, mais pour échapper à l’horreur. Ces images de bateaux surpeuplés, des centaines des personnes dans les ports et les gares d’Europe. On parle d’afflux, de flots, de vagues. Des termes qui déshumanisent et nous empêchent de voir au-delà des masses anonymes : des hommes, des femmes et des enfants. Des êtres humains comme vous et moi, qui ont un nom, une histoire, une famille.
Face à cette réalité, les discours d’impuissance sont nombreux. Que pourrions-nous faire? Le problème nous semble si grand et nous nous sentons si petits. À ses disciples, Jésus demande: combien avez-vous de pains? Au lieu de se laisser submerger par le problème, de voir tout ce qu’ils ne peuvent pas faire, les disciples sont appelés à prendre conscience de ce qu’ils ont.
Ils ont 7 pains. Ce n’est pas grand-chose… Mais ce n’est pas rien non plus.
Jésus ordonne alors à la foule de s’asseoir. Dans un autre récit, il leur demande de se mettre en groupe. Structurant ainsi cette foule informe en plus petites unités, en familles. Comme les Israélites étaient groupés par tentes. Puis il remercie Dieu et rompt le pain. Nous reconnaissons ici les gestes et les paroles qui président au dernier repas et que nous célébrons aujourd’hui encore en mémoire du Christ. Des gestes, des paroles autour du pain. Qui en font pour celles et ceux qui le reçoivent dans la foi, une nourriture habitée par une force plus grande que le simple mélange de farine, d’eau et de sel.
Ah, et tout compte fait, on se rend compte qu’on a aussi quelques petits poissons! C’est le syndrome du repas canadien. Quand on regarde le tout petit saladier avec lequel on arrive et le nombre de convives, on se dit qu’il n’y aura jamais assez. Et puis au final, on repart toujours avec des restes!
Des restes, il y en aura aussi. On en remplira 7 corbeilles. On parle traditionnellement du miracle de la multiplication des pains quand on évoque ce récit. Mais à aucun moment, il n’est question de multiplication. « Ils mangèrent et furent rassasiés. » De même que les Israélites eurent chacun la ration nécessaire. La manne les rassasia tous justement, quand bien même ils n’en eurent pas la même quantité.
S’il n’est pas question de multiplication, je crois que nous pouvons quand même parler de miracle. Pas un miracle qui se situerait dans le tour de passe-passe du magicien Jésus, mais dans la transformation de la situation. Une situation qui semblait insoluble, marquée par le manque et le dénuement se révèle être signe d’abondance. Si cela, ce n’est pas un miracle!?!
Et finalement, tant d’abondance
7 corbeilles de restes. Dans un autre récit, 12. Derrière ces nombres, un symbole.
12: ce sont les disciples. Chargés à leur tour de donner plus loin.
12: ce sont aussi les tribus d’Israël.
7: c’est le nombre qui exprime ce qui est entier, complet. Ce sont aussi les 7 parties du monde païen.
A deux chapitres d’intervalle, Marc raconte cet épisode de la multiplication ou de l’abondance de pain. La première lorsque Jésus est sur territoire juif, on récolte 12 paniers de restes. La seconde sur territoire païen, avec ses 7 corbeilles. Clairement, l’évangéliste Marc signifie l’universalité du message et de l’action de Jésus. Et ses disciples, porteurs des corbeilles, sont appelés à poursuivre l’œuvre de l’Évangile dans le monde entier.
En tant que chrétiens, nous sommes les héritiers de ces disciples. Humains comme eux, nous sommes parfois submergés par le découragement et l’impuissance. Mais le Christ nous appelle à changer de perspective. A nous décentrer de nous-mêmes pour ne pas voir d’abord ce que nous ne pouvons pas faire. Mais à porter notre regard sur la véritable priorité : des gens qui doivent être secourus. Et ensuite voir les ressources que nous pouvons mettre en œuvre.
Combien récolterons-nous de corbeilles de restes? 7?… 12?… plus encore? L’histoire le dira.
Mais puissions-nous, chers amis, aujourd’hui encore, nous laisser porter par l’espérance.
Puissions-nous donner au Christ l’espace de l’action dans notre monde.
Puissions-nous croire avec lui aux miracles !
Amen
Textes bibliques
Exode 16,11-18
Le Seigneur dit à Moïse: «J’ai entendu les protestations des Israélites. Dis-leur donc ceci de ma part: «Ce soir vous mangerez de la viande, et demain matin vous aurez du pain en suffisance; ainsi vous saurez que moi, le Seigneur, je suis votre Dieu.»» En effet, le soir, des cailles arrivèrent et se posèrent sur tout le camp; et le matin, tout autour du camp, il y avait une couche de rosée. Lorsque la rosée s’évapora, quelque chose de granuleux, fin comme du givre, restait par terre. Les Israélites le virent, mais ne savaient pas ce que c’était, et ils se demandèrent les uns aux autres: «Qu’est-ce que c’est?» Moïse leur répondit: «C’est le pain que le Seigneur vous donne à manger. Et voici ce que le Seigneur a ordonné: «Que chacun en ramasse la ration qui lui est nécessaire; vous en ramasserez environ quatre litres par personne, d’après le nombre de personnes vivant sous la même tente.»» Les Israélites agirent ainsi; ils en ramassèrent, les uns beaucoup, les autres peu. Mais lorsqu’ils en mesurèrent la quantité, ceux qui en avaient beaucoup n’en avaient pas trop, et ceux qui en avaient peu n’en manquaient pas. Chacun en avait la ration nécessaire.
Traduction Français courant
Marc 8,1-9
En ce temps-là, une grande foule s’était de nouveau assemblée. Comme elle n’avait rien à manger, Jésus appela ses disciples et leur dit: «J’ai pitié de ces gens, car voilà trois jours qu’ils sont avec moi et ils n’ont plus rien à manger. Si je les renvoie chez eux le ventre vide, ils se trouveront mal en chemin, car plusieurs d’entre eux sont venus de loin.» Ses disciples lui répondirent: « Où pourrait-on trouver de quoi les faire manger à leur faim, dans cet endroit désert?» Jésus leur demanda: «Combien avez-vous de pains?» Et ils répondirent: «Sept.» Alors, il ordonna à la foule de s’asseoir par terre. Puis il prit les sept pains, remercia Dieu, les rompit et les donna à ses disciples pour les distribuer à tous. C’est ce qu’ils firent. Ils avaient encore quelques petits poissons. Jésus remercia Dieu pour ces poissons et dit à ses disciples de les distribuer aussi. Chacun mangea à sa faim. Les disciples emportèrent sept corbeilles pleines des morceaux qui restaient. Or, il y avait là environ quatre mille personnes.
Traduction Français courant