Les sœurs de la communauté de Grandchamp m’ont conviée à présider le culte jeudi dernier. Voici le texte de la prédication, basée sur les lectures bibliques du jour : Actes 28, 1-10 et Jean 13, 12-20
Comprenez-vous ce que j’ai fait pour vous ?
La question de Jésus résonne aujourd’hui dans cette chapelle comme elle a résonné ce jour là dans la chambre haute. Comprenons-nous ce que le Christ a fait pour nous ?…
Quelques heures à peine avant son arrestation, Jésus partage un repas avec ses disciples et il leur lave les pieds. Voici ce qu’il a choisi de vivre avec ceux qu’il aimait et qu’il a aimé jusqu’au bout. Lorsque la fin est proche, on se concentre sur l’essentiel. Plus le temps de tergiverser ni pour le superflu. Ce qui a été vécu dans ces heures là n’est autre que ce qui était fondamental pour Jésus et nous révèle le cœur de son évangile. Partager un repas, prendre soin de l’autre.
Au travers de paroles mais pas seulement. Aussi au travers de gestes et de soins concrets portés au corps. L’être humain n’est pas qu’un esprit. Nous ne sommes pas seulement des êtres spirituels. Nous sommes humains. Incarnés dans le monde. Nous ne faisons pas qu’habiter un corps. Nous sommes notre corps!
C’est ainsi que nous sommes présents aux autres.
Des bras pour porter.
Des mains pour relever.
Des jambes pour cheminer avec.
Une bouche pour bénir.
Une oreille pour recueillir.
Nous sommes notre corps.
Dans ces dernières heures partagées avec ses disciples, Jésus agit. Par son corps et au service du corps de l’autre. Il lave les pieds. Il prend soin de cette partie du corps qui est si fortement exposée à l’usure. Outil indispensable de la mission évangélisatrice. Sans leurs pieds, les disciples n’auraient pas pu porter au loin l’annonce du Royaume de Dieu advenu en Jésus.
Comprenez-vous ce que j’ai fait pour vous ?
Le geste s’accompagne d’une parole. Les mots donnent du sens. Alors que l’ombre de la croix se fait de plus en plus présente, l’enseignement de Jésus se centre sur le fondement du service. Être disciple du Christ, s’inscrire à sa suite, faire partie de sa communauté, être chrétienne et chrétien, ce n’est autre que cela : Le geste et la parole.
C’est à dire pratiquer concrètement le service de l’autre. Et formuler en paroles ce que signifie ce service. Il ne s’agit pas de donner des leçons ou de tenir de grands discours, mais de vivre en cohérence entre ce que nous faisons et ce que nous disons. C’est faire. Vraiment. Concrètement se mettre au service de l’autre. S’abaisser à toute tâche car il n’existe rien qui soit trop vil pour que quiconque l’accomplisse. C’est faire et c’est dire aussi. Parce que la parole donne du sens. Parce que les mots sont témoignages. Parce que le langage confère à un geste simple de la largeur, de la hauteur et de la profondeur.
Accomplir et dire. Voilà ce à quoi le Christ appelle ses disciples et nous avec eux.
Comprenez-vous ce que j’ai fait pour vous ?
A quelques heures de sa mort, Jésus institue la première Église. Pour s’inscrire à la suite de celui qu’elle confesse comme Maître et Seigneur, elle pratiquera le service dans l’humilité. Ses membres se laveront les pieds les uns aux autres. Et ce commandement est suivi d’une béatitude : vous serez heureux si vous mettez cela en pratique.
L’Église sert.
Par l’action de chacun de ses membres, l’Église sert.
Par la collectivité, l’Église sert. Le service est l’essence de la communauté.
Pour servir, il ne suffit pas d’imiter les gestes du Christ, il faut sans cesse les réinventer. Individuellement et collectivement se questionner et chercher au travers de quels gestes l’amour et le service du Christ peuvent se manifester aujourd’hui. Ici et maintenant. La question de Jésus : comprenez-vous ce que j’ai fait pour vous ? ne peut qu’être suivie de la suivante : et toi, que fais-tu pour ton prochain ?
Comment vas-tu manifester l’amour du Christ pour lui, pour elle ?
Comment vas-tu t’abaisser pour le relever ?
La mise en pratique de la vie chrétienne est d’une infinie créativité. Et il arrive que nous trébuchions. Reconnaître le Christ comme Maître et Seigneur n’exclut pas la faillibilité. La trahison de Judas nous le rappelle : même dans le cercle des plus proches de Jésus, personne n’échappe à la faiblesse humaine. L’Église est faite d’hommes et de femmes. Elle n’est pas parfaite. Dès ses tous premiers temps. Quand Paul arrive à Malte, ce ne sont pas des croyants mais bien des autochtones, des barbares qui l’accueillent. Et ils font preuve, nous rapporte le texte, d’une humanité peu ordinaire. A Malte, Paul n’a jamais été aussi éloigné de son monde, il n’a jamais été aussi bien accueilli. Nous avons à apprendre des capacités de service de celles et ceux qui ne se réclament pas du Christ.
Comprenez-vous ce que j’ai fait pour vous ?
Je n’aurais pas l’audace ni l’assurance de répondre par l’affirmative à cette question. Pouvons-nous prétendre saisir toute la portée de ce qu’il a fait pour nous ?!?
Pourtant, nous pouvons nous engager à chercher. Chercher à comprendre spirituellement et concrètement.
Dans le service et la prière.
Dans l’humilité et l’hospitalité.
Dans le témoignage et la joie reçue.
Dans le pardon et la justice.
Par fidélité et par amour.
Vivre de l’Évangile.
Et mettre des mots sur ce que nous vivons.
Amen ainsi soit-il !