Du jugement dernier à l’ultime jugement

Pour cette année jubilaire de la Réforme, la FEPS a édité un petit fascicule: 40 thèmes pour cheminer. Voici la prédication issue de mes réflexions autour du thème n°14 Le jugement dernier ne fait plus peur?

Le Jugement dernier de Jérôme Bosch

Le feu crépite, les flammes nous encerclent. Tout n’est plus que cris et grincements de dents.
Nous voilà au plein milieu… non pas de l’enfer, mais des représentations qui nous viennent à l’esprit lorsque l’on évoque le jugement dernier.

Aujourd’hui encore, nous sommes profondément marqués par ces images qui, depuis le Moyen Âge, imprègnent nos esprits. A l’époque, la peur de brûler en enfer était réelle. Elle tenait les hommes et les femmes sous la coupe d’une Église qui n’hésitait pas à attiser cette peur pour asseoir son pouvoir sur le peuple.
Mais voilà qu’aujourd’hui, la menace des flammes de l’enfer ne fait plus trembler personne. Et c’est un bien!

Dès lors, pouvons-nous encore évoquer le jugement dernier sans passer pour des fous réactionnaires enfermés dans l’obscurantisme le plus crasse? Eh bien, c’est le défi qui m’a été lancé avec ce thème choisi parmi les 40 qui nourrissent notre réflexion en cette année jubilaire. Alors je m’y lance!

Représentations apocalyptiques

Pour commencer, il s’agit de ne pas perdre de l’esprit, lorsque nous abordons les récits bibliques qui parlent du jugement, que nous ne sommes pas dans le domaine du descriptif. Comme lorsque nous abordons la question de la résurrection par exemple, il ne s’agit pas d’événements qui peuvent être totalement appréhendés avec notre raison. Les textes nous entraînent donc dans les registres de la poésie, de l’évocation, de la symbolique. Pour nous permettre de saisir quelque chose qui échappe en partie à notre raisonnement intellectuel.
Le livre de l’Apocalypse en particulier, nous immerge dans ce langage étrange qui nous est rendu d’autant plus obscur que les références évidentes pour le lecteur de l’époque nous échappent aujourd’hui.

Certaines images sont terribles, effrayantes et fascinantes. Si bien que dans le langage courant, l’apocalypse est devenue synonyme d’anéantissement du monde dans d’atroces souffrances. Mais gardons à l’esprit que le message principal qui habite ce dernier livre biblique n’est autre que l’annonce de la victoire écrasante et définitive de Dieu et du Christ sur les forces du mal.

Aux martyrs du premier siècle, l’auteur du livre des révélations l’affirme : malgré toutes les apparences, tous les signes du monde d’alors, le Christ sera vainqueur et le mal tombera.

Dans le monde biblique, de nombreuses images sont utilisées pour évoquer ce jugement dernier: la moisson, la vendange, le festin. Dans le chapitre 20 de l’apocalypse, c’est autour de la personne du juge qu’est construit le récit. Un juge qui en impose. Sans démonstration de force ni de puissants effets. Sa seule apparition sur son trône blanc provoque le respect, de la terre jusqu’au ciel.

Au cœur des terribles tourments, l’arrivée du juge est lumineuse, et s’impose par une puissance qui n’est pas celle de la violence. Le vainqueur que l’apocalypse nous annonce ne fait pas usage des mêmes armes que le mal, personnifié en Satan. Son feu n’est pas celui qui détruit et qui consume. Mais le feu qui vient d’en-haut. Celui qui brûlait dans le cœur des disciples d’Emmaüs.

De même, son jugement n’est pas condamnation et punition. Il est d’un autre ordre.

Jugement ou non-jugement?

Salomon, pour rendre son jugement, demande une épée. Et avec celle-ci que fait-il ? Il tranche. Sans faire couler la moindre goutte de sang puisqu’il ne tranche pas l’enfant. Il tranche la décision. Il permet le discernement. Et empêche ainsi que ressortent vainqueurs de ce jugement : la colère, la violence et la jalousie.
C’est une arme bien plus puissante qui l’emporte. Celle que nous pourrions appeler l’amour.

Le jugement aujourd’hui, n’est pas très à la mode. Qu’il soit dernier ou non d’ailleurs. J’entends souvent chez les jeunes l’importance de ne pas se sentir jugé. Le non-jugement est même devenu une valeur presque absolue. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que, si là derrière il y a un désir légitime de s’affranchir du pouvoir que le regard des autres peut exercer sur une jeune personne en train de se construire, il y a un glissement possible dans cet idéal du non-jugement.

Un glissement qui me semble également assez dangereux. Celui du relativisme. Au royaume du non-jugement, le tout se vaut est roi. Et comment, dans un environnement indistinct entre le bien et le mal, forger son identité ?

L’Évangile, je crois, n’est pas dénué de jugement. L’Évangile tranche. Il est même une épée à double tranchant (Héb 4,12).

Et il est fondamental de ne pas occulter tout jugement. Porter un jugement permet de pouvoir condamner certains comportements. Condamner la violence verbale et physique. Affirmer qu’il y a des actes qui sont inadmissibles et qui portent en eux le mal.
Non, tout ne se vaut pas ! Et il est fondamental de l’affirmer.

Le jugement… ultime

Mais ce jugement là est-il entre nos mains ?
Il y a des actes clairement condamnables et la justice humaine fait son travail de discernement.
Mais on le sait bien, il n’est pas toujours aisé de distinguer le bien du mal. Et un même acte peut se révéler avoir des conséquences aussi bien positives que négatives. Les choses ne relèvent pas toujours de l’évidence.

Le récit du jugement de Salomon se termine d’ailleurs avec cette émerveillement de la part des Israélites. Qui ne peuvent qu’attribuer à Dieu la résolution de cette affaire. Dieu qui a rempli de sagesse le roi Salomon.

Le bien et le mal nous dépassent. Nous ne sommes finalement que des créatures. Seul Dieu en est le maître. A lui donc, revient le jugement dernier.

Et j’aimerais que nous nous détachions des représentations temporelles lorsque nous utilisons le qualificatif dernier. Ce n’est pas chronologiquement que ce jugement est le dernier. Mais c’est l’ultime, le plus grand, le jugement définitif.

Ce jugement-là n’est pas une menace, puisqu’il émane de Dieu. Celui qui a toujours utilisé les armes de l’amour pour terrasser le mal. Mais il est le plus important. Il nous libère ainsi que la pression de porter des jugements absolus sur nous-mêmes ou nos semblables.

Quoi de plus beau que de se dire que sur ma vie, c’est à Dieu qu’appartient l’ultime parole ?

Amen