Dans la paroisse du Joran, cela fait de nombreuses années que les catéchumènes et les jeunes traversent la nuit de Pâques en visionnant des films. Visionnement, temps de discussions et d’animations, et collations rythment la nuit jusqu’au petit matin où toute l’équipe sort pour se rendre au bord du lac et célébrer l’aube.
L’an dernier, un des films choisi était Le discours d’un roi de Tom Hopper. J’avais alors cherché un texte biblique pour travailler différentes thématiques, en particulier autour de la résurrection, et j’avais remarqué qu’il y avait des liens intéressants à faire avec la vocation de Jérémie (pour la petite histoire, c’est le texte qui m’avait été imposé pour mon passage devant la commission de consécration, j’ai donc un attachement particulier à ce texte).
La ligne catéchétique de cette nuit vidéo a été créée par mes prédécesseurs dans la paroisse et l’équipe dont je fais partie poursuit sur cette ligne. L’idée est de choisir des films grand public qui n’ont a priori pas de message religieux. Dans ces films, nous cherchons à trouver des personnages qui vivent des petites résurrections, des transformations dans leur vie qui donnent à nouveau sens à leur existence, des sorties des tombeaux qui les enfermaient. En mettant en dialogue un film avec un texte biblique, nous cherchons à comprendre le sens à la fois de l’histoire et du texte et bien entendu, à nourrir notre réflexion sur notre propre vie.
Le discours d’un roi
Voici le synopsis proposé dans Wikipedia: « Dans les années 1930, au Royaume-Uni, le prince Albert, deuxième fils du roi George V, vit un grave problème de bégaiement. L’abdication de son frère aîné Édouard VIII l’oblige à monter sur le trône sous le nom de George VI. Or le roi doit s’exprimer en public. Sur l’insistance de sa femme, il rencontre Lionel Logue, orthophoniste australien aux méthodes peu orthodoxes. Malgré les réticences du prince, la méthode de Logue fonctionne. Albert doit surmonter ses difficultés de langage pour prononcer, en septembre 1939, le discours radiophonique d’entrée du Royaume-Uni dans la guerre contre l’Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale. »
Texte biblique: Jérémie 1,4-10
4 Je reçus cette parole du Seigneur:
5 «Je te connaissais avant même de t’avoir formé dans le ventre de ta mère; je t’avais mis à part pour me servir avant même que tu sois né. Et je t’avais destiné à être mon porte-parole auprès des nations.»
6 Je répondis: «Hélas! Seigneur Dieu, je suis trop jeune pour parler en public.»
7 Mais le Seigneur me répliqua: «Ne dis pas que tu es trop jeune; tu devras aller voir tous ceux à qui je t’enverrai, et leur dire tout ce que je t’ordonnerai. 8 N’aie pas peur d’eux, car je suis avec toi pour te délivrer.»
Voilà ce que le Seigneur me déclara. 9 Puis il avança la main, toucha ma bouche et me dit: «C’est toi qui prononceras mes paroles. 10 Tu vois, aujourd’hui je te charge d’une mission, qui concerne les nations et les royaumes: tu auras à déraciner et à renverser, à détruire et à démolir, mais aussi à reconstruire et à replanter.»
Traduction français courant
Quelques mots sur Jérémie
Petite introduction que j’avais préparée pour permettre aux jeunes de mettre le personnage de Jérémie dans son contexte.
Jérémie est un prophète, un messager de Dieu. Le livre de la Bible qui porte son nom raconte ses prophéties, les messages qu’il a adressés au peuple d’Israël au nom de Dieu. C’était un jeune homme ordinaire qui vivait dans les années 600 avant Jésus-Christ, une période difficile pour Israël, petit pays menacé par les grandes et puissantes nations voisines. Dans cette période de trouble, les gens se détournent de Dieu, se mettent à adorer des idoles et à agir de manière immorale. Lorsque Jérémie reçoit de la part de Dieu la mission de devenir son prophète, il est encore très jeune. Pas en âge de donner son avis et d’être pris au sérieux. De plus, le message de Dieu risque de déplaire à beaucoup. Les prophètes ont en souvent été détestés car ils osaient dire les choses qui fâchent. De la part de Dieu, ils reprochaient aux gens de leur temps leurs mauvais comportements et leur infidélité. Ils annoncent aussi la promesse que Dieu n’abandonne pas son peuple malgré les temps difficiles, mais qu’il est temps de changer, de se comporter de manière responsable et d’arrêter de se tourner vers d’autres divinités. Alors que le peuple se sent menacé par les grandes puissances voisines, il aimerait entendre des paroles réconfortantes. Au contraire, Jérémie sera envoyé pour les secouer.
Jérémie comme les autres prophètes, a connu des jours très difficiles. On trouve aussi dans l’Ancien Testament, le livre des Lamentations de Jérémie où le prophète exprime de longues plaintes face à la situation du monde de son temps. C’est d’ailleurs ce prophète qui a donné son nom au mot jérémiades.
Court commentaire du texte
versets 4-5: La vocation
Dieu avait choisi Jérémie avant même sa naissance. Il l’avait mis à part pour une destinée particulière et le consacre en tant que prophète des nations, c’est-à-dire comme messager de la Parole de Dieu pour le peuple d’Israël et aussi pour les autres peuples. Dieu a donc vu en lui non pas seulement le jeune homme qu’il était mais l’homme qu’il allait devenir.
verset 6: L’opposition
Jérémie résiste. Il ne se sent pas à la hauteur. Il n’a pas encore l’âge requis pour participer à la vie publique (30 ans selon certaines recherches). On ne l’écoutera pas! Il n’a pas droit à la parole! La disproportion semble folle. Face à cette tâche immense, Dieu choisit un misérable jeune homme… Mais l’image que Jérémie se fait de lui-même ne correspond pas à ce que Dieu voit en lui.
versets 7-8: L’envoi
L’objection de Jérémie est vaine. Dieu peut donner la parole à qui il veut et il a choisi Jérémie. Dieu redit à Jérémie qu’il l’envoie comme prophète. Et il lui promet de ne pas l’abandonner dans ce rôle difficile. C’est lui qui lui inspirera ses paroles. Il sera avec lui. Il lui donnera les moyens de réussir. «Je suis avec toi pour te libérer»: Jérémie devra annoncer au peuple qu’un jour il sera libre. Mais qu’avant cela, les épreuves seront nombreuses. Sa vie de prophète sera pareille, Dieu le libèrera de ses peurs, mais cela ne lui évitera pas les persécutions et autres difficultés.
versets 9-10: Le geste
Dieu touche la bouche de Jérémie et le déclare prophète. Une geste d’intronisation qui donne à Jérémie l’habilitation à parler au nom de Dieu. Son autorité lui est donnée par Dieu, ce qu’il dira ne viendra pas seulement de lui mais de Dieu lui-même. Dieu lui donne autorité sur les nations et les royaumes. Ainsi, ses prophéties ne concerneront pas seulement Israël mais aussi les autres nations. Mais l’écouteront-elles?!? La mission qui lui est confiée est exprimée par 6 verbes: 4 sont négatifs (déraciner, renverser, détruire, démolir) et 2 positifs (reconstruire, replanter). Dieu ne cache pas à Jérémie ce à quoi il doit s’attendre. Il devra annoncer de terribles nouvelles et sera certainement détesté (la colère se retourne souvent contre le porteur de la mauvaise nouvelle). Mais Dieu ne laisse pas à la destruction le dernier mot: les deux derniers verbes sont porteurs d’espoir.
Faire dialoguer le texte et le film
Trop petit
Le roi, tout comme le prophète, ne choisit pas son destin. Il se sent trop petit pour l’habiter. L’image qu’il se fait de lui-même ne correspond pas à ce qu’il peut être (et ce que nous croyons que Dieu voit déjà en lui). Quelqu’un croit en lui et voit le roi qu’il pourra être (il le lui dit avant même se savoir que son frère abdiquera). Albert pense que son handicap l’empêche de prendre la parole en public et qu’il ne sera jamais à la hauteur. Lionel lui fait découvrir que ce qui l’enferme n’est pas son bégaiement, mais ses souffrances, son manque d’estime de lui-même. Ses traumatismes d’enfants et le fait qu’on lui ait toujours dit qu’il n’était pas à la hauteur ont fini par l’enfermer dans cette image de lui. Son bégaiement est l’expression de cette souffrance. C’est le tombeau dans lequel il est enfermé. Lorsqu’il rencontre un homme qui croit en lui, avec l’appui de sa femme et quand il se sent estimé, il parvient à changer l’image qu’il se fait de lui-même. Il arrive alors à s’exprimer (dernier discours). Il sort de son tombeau. Désormais le regard de tous sur lui est changé (résurrection).
Libéré libérateur
Le prophète est porteur d’un message d’espérance, de libération. Et il est le premier libéré. Jérémie libéré de sa timidité, de son impression de ne pas être à la hauteur, de ses peurs, peut devenir porteur d’un message de libération pour le peuple. Le roi, libéré de son handicap, peut être porteur d’un message d’espérance pour son peuple. Le peuple a besoin de se sentir porté, mis en confiance par son roi.
Le discours
Il est à noter que ce qui est vécu au moment du dernier discours est paradoxal. C’est une nouvelle vie pour le roi, le début de quelque chose de nouveau, une victoire. Alors que ce qu’il annonce, le contenu du discours, est une déclaration de guerre. Tout comme Jérémie est porteur de 4 verbes négatifs, le roi annonce les terribles années de guerre. Sa manière de le faire permet à son peuple d’espérer malgré les épreuves à venir. Il incarne lui-même l’espoir que l’on peut sortir victorieux d’une situation qui semble inextricable.