Il sème sans compter

Prédication du culte du 8 septembre 2024 à Rochefort. Avec le baptême du jeune Adam.
Textes bibliques : Jérémie 29,11-14 et Luc 8,4-8.

Un semeur sortit semer sa semence. On dirait presque un exercice de diction.
Ce semeur, sorti semer sa semence, sème à tout va. Une courte histoire que Jésus livre ce jour-là à la foule venue l’écouter et qu’il conclut par ces mots : celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende.
C’est tout. La foule est ensuite congédiée. Pour des personnes qui s’étaient déplacées exprès pour écouter l’enseignement de Jésus, c’est peut-être un peu court ! Le texte ne nous dit rien sur la réaction de la foule mais rien ne nous interdit de l’imaginer.

Réactions possibles

J’imagine volontiers 4 types de réactions :

Les premiers restent abasourdis : « Quoi ? C’est tout ?!? Tout ça pour ça ? Ce Jésus dont on a tant entendu parler n’est finalement pas si formidable. C’est même un drôle d’oiseau, ce gars là! » Ceux-là haussent les épaules et repartent comme ils étaient venus. Ils ne reparleront pas, ou très peu, de ce qu’ils ont vécu ce jour-là. D’ailleurs ils n’ont pas vécu grand-chose. Ils ne repenseront non plus jamais à l’histoire du semeur, d’ailleurs l’ont-ils vraiment écoutée ? Ils ont déjà oublié.

Au contraire, le 2e groupe a trouvé ça absolument génial ! Ce Jésus qui se tient tout seul face à un foule de gens et qui parvient à retenir leur attention sans hausser la voix, c’est extraordinaire. Ils ont pleinement conscience d’avoir eu en face d’eux un homme au charisme hors du commun. Pendant les quelques minutes qu’a duré son récit, toute cette foule était suspendue à ses lèvres. Sur le chemin du retour, ils sont encore pleins du ravissement d’avoir vécu ce moment et se réjouissent déjà de pouvoir dire un jour : j’y étais ! Oui, j’y étais, le jour où Jésus était dans la région. J’étais une de ces personnes dans la foule ! Et qu’est-ce qu’il a raconté ?… Oh une histoire d’un homme qui jette des graines. Ah bon… et qu’est-ce qui lui arrive à cet homme qui jette des graines ? Euh… et bien certaines donnent de jolies plantes et d’autres pas. Ah…

Sur le chemin du retour, il y a un troisième groupe de personnes. Elles discutent. Les échanges sont vifs autour de cette histoire de semeur. Qu’a-t-il bien pu vouloir dire ? Ça semble étrange quand même ce semeur qui jette ses graines n’importe comment. Un agriculteur parmi eux assène : «C’est un irresponsable ! Les semences c’est précieux. Si vous saviez combien ça nous coûte ! Aucun paysan ne les gaspillerait comme ça.» Puis de fil en aiguille, la discussion se poursuit sur les conditions de travail difficile des agriculteurs, les taxes, le obligations, le manque de rentabilité, la charge administrative toujours plus lourde, le manque de reconnaissance pour un travail si fondamental pour toute la population… Après une heure, on ne se souvient plus qu’à la base de la discussion, il y avait cette histoire que Jésus a racontée. On a pu échanger sur des sujets importants et prenants, sans toutefois avoir pu retirer quelque chose de cette histoire de semeur. Arrivé chacun dans son foyer, on a retrouvé les soucis du quotidien, les jouets des enfants au milieu du couloir et la tasse à café du conjoint sur la table de la cuisine. Oh mais combien de fois leur ai-je déjà demandé de les ranger leurs affaires ?

Et puis il y a les gens du 4e groupe. Ceux-là peinent à décoller. Ils ne veulent pas rentrer comme ça, sans avoir au moins essayé d’en savoir plus. Ils restent crochés sur les derniers mots que Jésus a prononcés : écoutez bien si vous avez des oreilles pour entendre ! Ils ont l’impression d’avoir bien écouté mais ne sont pas certains d’avoir bien entendu, d’avoir bien saisi ce que Jésus avait voulu leur dire.

Qui est ce semeur ? Et si c’était une manière de parler de Dieu lui-même ? Lui qui n’est pas avare de dons et qui est prêt à les répandre à tout va, quand bien même certains se perdraient dans des cœurs humains peu enclins à les accueillir ? Ou est-ce un encouragement à ne pas désespérer de nos initiatives qui ne sont pas toujours couronnées de succès ? Ce pauvre semeur voit les 3/4 de ses graines ne rien donner de durable. Mais les quelques unes qui germent, elles, deviennent plantureuses. Ne serait-ce pas une manière de nous encourager à ne pas baisser les bras face à l’échec ? Dans ce 4e groupe, il n’y a pas foncièrement de gens plus brillants que dans les 3 autres, il y a juste des gens qui acceptent de se laisser déranger par les paroles que Jésus a prononcées. Et qui se disent que ça vaut la peine de prendre un moment pour y réfléchir, peut-être même les reprendre le lendemain et le jour d’après. Le sens parfois se développe avec le temps. Et au fil des jours, à force de laisser résonner cette histoire de semeur dans leur esprit, il y a tout à coup des prises de conscience. Celui-là décide d’écrire encore une fois à cet ami avec lequel il est fâché et qui ne répond plus à ces messages. Et si cette fois il y avait une ouverture… Un autre décide d’aller parler à l’agriculteur qu’il voit chaque matin sur son tracteur mais à qui il n’a jamais adressé la parole. Il se dit que quand même il fait un dur métier.

Dans quel groupe je me trouve?

Alors bien sûr, maintenant vient la grande question : Et moi ? De quel groupe aurais-je fait partie ? Quel auditeur, quelle réceptrice des paroles de Jésus suis-je ?

Suis-je plutôt de ceux qui n’y comprennent rien, qui pensent que c’est trop compliqué pour moi. De celles qui se disent que c’est sûrement bien mais bon, il est quand même un peu bizarre ce type. Alors c’est certainement très utiles pour d’autres mais c’est pas fait pour moi.

Ou alors je me retrouve plutôt dans le 2e groupe. Je suis un enthousiaste qui adore l’intensité du moment vécu puis qui passe à autre chose. Une personne qui demeure toujours à la recherche de moments forts et fugaces pour briser la monotonie sans pour autant laisser ces expériences transformer le quotidien.

Suis-je plutôt de ceux qui aimeraient bien prendre le temps de réfléchir à cette histoire mais j’ai une semaine trop chargée. Un jour, je le ferai. Peut-être quand je serai à la retraite. En tout cas c’était bien et ce semeur qui jette des graines un peu partout, c’est intéressant. Il faudra que je demande à la pasteure le texte. Mais pas aujourd’hui parce que j’ai un rendez-vous. Mais une fois…

Ou alors suis-je justement dans un jour où cette histoire fait écho en moi ? Parce que j’étais dans les bonnes dispositions quand je l’ai entendue, parce que ce que je suis en train de vivre résonne tout à coup autrement ? Parce que j’ai décidé de ne pas me laisser rattraper par tant d’autres choses mais que j’ai eu envie de persévérer, de creuser, de laisser ces paroles s’ancrer et mûrir en moi.

De qui vous sentez-vous les plus proches ? De quelle terre êtes-vous faits ? La réponse vous appartient.

Ce que je peux vous dire, c’est que moi honnêtement j’aimerais vraiment beaucoup appartenir au 4e groupe. C’est ce que l’on attendrait d’une pasteure, n’est-ce pas ? Mais pour être honnête, je crois qu’il n’est pas rare que je me glisse dans l’un des 3 premiers groupes. A toutes ces graines semées, je ne suis pas réceptive à chaque fois. Mais quand je le suis, alors cela fait une vraie différence.

Quel semeur suis-je?

L’autre question que l’on peut se poser, c’est quel genre de semeuse suis-je ? Et surtout, est-ce que je suis aussi généreuse, aussi inconsciente peut-être, que le semeur de la parabole ?

Nous discutions l’autre jour avec la famille d’Adam du fait que comme parent, parrain-marraine qui accompagnent des enfants dans leur croissance, on ne maîtrise pas totalement ce qui pousse ou ne pousse pas en eux. Et dans la discussion a surgi cette expression : on récolte ce que l’on sème. Il faut déjà commencer par semer. Et si l’on sème avec parcimonie, les fruits seront peu nombreux.  On sème, on donne, on offre. De l’amour, de l’affection, un cadre de vie aussi. On donne à nos enfants des règles pour leur sécurité physique et affective. On cherche à leur transmettre nos passions, ce qui nous fait vibrer, ce qui donne du sens à nos existences. On sème nos valeurs, on essaie de mener une vie cohérente entre nos paroles et nos actes parce que les enfants apprennent autant de ce que l’on dit que de notre manière de mettre en œuvre nos convictions.

La parabole du semeur nous invite à ne pas retenir notre bras. A ne pas être avare dans ce que l’on donne. Quand bien même on ne voit parfois aucun effet. Ce semeur – inconscient pour certains – lui qui va semer même sur le chemin où cela ne poussera pas, même dans les cailloux où ça poussera un peu et puis ça mourra, même dans les ronces où cela poussera mais cela se fera étouffer… ce semeur là nous encourage à répandre autour de nous sans autocensure. Sans décider nous-mêmes où cela va pousser et où cela ne poussera pas. A témoigner par nos paroles mais aussi par nos actes de la foi qui est la nôtre. Sans vouloir en mesurer immédiatement le rendement.

Et à cueillir avec joie les fruits parfois imprévisibles que la vie nous donne.

Amen