Prédication du dimanche 23 juin 2024 à Rochefort, avec le baptême du jeune Mahé.
Textes bibliques: Ésaïe 49,14-16 et Luc 1,57-66
Une annonce qui laisse sans voix
Aujourd’hui, Mahé est entouré de ses nombreux cousins et cousines. C’est d’un autre cousin dont j’aimerais vous parler maintenant. La Bible nous raconte des quantités d’histoires de familles. Et si on fouille un peu, on trouve pas mal de récits de naissance pas tout à fait ordinaires. Il est vrai que chaque naissance est unique même si toutes ne font pas l’objet de récits millénaires. Autrefois, quand une personne avait un destin hors du commun, on racontait volontiers les extraordinaires circonstances de sa venue au monde.
Connaissez-vous l’histoire du cousin de Jésus, ou plutôt son petit-cousin, car c’étaient leurs mamans qui étaient cousines? Élisabeth, la cousine de Marie, avait plusieurs années de plus qu’elle. Elle était mariée à Zacharie et tous deux formaient un couple harmonieux, mais leur grand malheur résidait dans le fait qu’ils n’avaient pas pu avoir d’enfant. Ils avaient désormais atteint un âge auquel ce n’était plus envisageable et s’étaient fait une raison, même si quelque part cela demeurait le drame de leur vie. Mais un jour que Zacharie était dans le temple, il eut une vision. La Bible nous raconte qu’un ange lui est apparu et s’est adressé à lui en lui annonçant qu’Élisabeth et lui auraient un fils et qu’ils donneraient à cet enfant le prénom de Jean.
Peut-être était-ce la surprise ou alors la crainte de devoir une fois de plus faire face à la désillusion d’une fausse joie, toujours est-il que la réaction de Zacharie n’a pas été celle attendue. Zacharie a réagi avec scepticisme. Il n’a pas cru ce que l’ange était venu lui annoncer. Et à cet instant même, il a perdu l’usage de la parole. Zacharie était devenu muet. Quelques mois plus tard, voilà ce qui arriva…
Le moment arriva où Élisabeth devait accoucher et elle mit au monde un fils. Ses voisins et les membres de sa parenté apprirent que le Seigneur lui avait donné cette grande preuve de sa bonté et ils s’en réjouissaient avec elle. Le huitième jour après la naissance, ils vinrent pour circoncire l’enfant; ils voulaient lui donner le nom de son père, Zacharie. Mais sa mère déclara: «Non, il s’appellera Jean.»
Ils lui dirent: «Mais, personne dans ta famille ne porte ce nom!» Alors, ils demandèrent par gestes au père comment il voulait qu’on nomme son enfant. Zacharie se fit apporter une tablette à écrire et il y inscrivit ces mots: «Jean est bien son nom.» Ils s’en étonnèrent tous. Aussitôt, Zacharie put de nouveau parler: il se mit à louer Dieu à haute voix.
Alors, tous les voisins éprouvèrent de la crainte, et dans toute la région montagneuse de la Judée on se racontait ces événements.
Tous ceux qui en entendaient parler y repensaient et ils se demandaient: «Que deviendra donc ce petit enfant?» La puissance du Seigneur était en effet avec lui.Luc 1,57-66 traduction Nouvelle Français courant
Neuf mois au moins se sont écoulés entre le jour où l’ange est apparu à Zacharie et ce matin-là, dans le temple, où le rite religieux est célébré et où l’enfant reçoit son prénom. Neuf mois d’un silence total pour Zacharie et pour le couple qu’il forme avec Élisabeth. Et pourtant, ils devaient en avoir des choses à discuter durant cette période! La surprise de la grossesse, le récit de la promesse. Et tout ce que de futurs parents ont à échanger à propos du changement de vie qui se prépare pour eux.
C’est le silence qui marque ce temps. La promesse a coupé toute parole. Mais pas totalement la communication dans le couple, car il ne fait aucun doute qu’Élisabeth est au courant de tout. Zacharie a donc trouvé moyen de lui raconter. On le comprend, car au moment même où l’enfant doit être nommé, Élisabeth s’oppose à la tradition qui veut que l’on donne au fils le nom de son aïeul et affirme: non, il s’appellera Jean. Il s’appellera Jean!
Un nom qui te désigne
Chacun.e d’entre nous, nous portons un prénom et un nom de famille. Notre nom de famille nous ancre dans une filiation. Nous portons le nom de notre père ou de notre mère, de nos grands-parents, de nos ancêtres. Ce nom dit d’où l’on vient, de quelle lignée nous sommes issus. Il nous situe et nous inscrit dans une histoire. «Ah un Montmollin d’Auvernier!…» Instantanément, on situe.
Notre prénom, lui, nous distingue. Chaque membre d’une même famille porte le sien propre. «Parmi tous les Dubois, toi tu es Dominique.» Et il n’y en a pas d’autres. Chaque individu est unique.
L’ensemble prénom-nom assoit notre personne dans son individualité et dans la collectivité. Dans son unicité et en tant que membre d’un ensemble. Ainsi fonctionne notre façon occidentale de nommer. Mais il en existe d’autres.
Dans le monde antique, la diversité des prénoms était beaucoup moins grande qu’aujourd’hui. Il n’était donc pas rare de porter le même prénom que beaucoup de ses voisins. Jean, Myriam… et même Jésus étaient extrêmement courants. Et on ne portait pas de nom de famille. Pour situer quelqu’un, on désignait le lieu d’où il venait ou le nom de son père: Jésus de Nazareth… Jacques, fils d’Alphée. Et au sein d’une famille, la coutume veut que l’on attribue un prénom qui est déjà porté par un membre de la famille. On ne cherche pas l’originalité. Au contraire. Donner à un enfant un prénom d’un de ses ancêtres, c’est l’ancrer dans son ascendance.
Il est tout de même un peu étonnant que l’on ait voulu appeler ce jeune garçon Zacharie comme son père, plutôt que par le nom de son grand-père: allait-il donc s’appeler Zacharie fils de Zacharie? Peut-être est-ce parce que le père était déjà très avancé en âge? Toujours est-il que vouloir lui donner un tout autre prénom: cela est tout à fait déconcertant. L’opposition d’Élisabeth fait réagir. «Mais personne ne porte ce prénom dans ta famille!» Non, personne jusque là ne portait ce prénom dans la famille, mais Zacharie le confirme: il s’appellera Jean! C’est l’instant décisif. Celui de l’accomplissement de la promesse. Et Zacharie est alors libéré de son enfermement dans ce mutisme qui le tenait prisonnier depuis des mois.
La parole s’ouvre au moment où le nom est donné.
Une part de l’identité
Le don de ce prénom fait partie de la promesse. «Dieu fait grâce». Voici ce que signifie le prénom Jean. Et chaque jour de son existence, en portant ce prénom, Jean sera le témoignage vivant de cette grâce divine pour ses parents. Mais pas uniquement pour ses parents. Car comme je vous le disais, ce sont les personnages qui ont eu un destin particulier dont on raconte volontiers la naissance extraordinaire. Et ce fut le cas de ce Jean.
Cousin de Jésus, il a grandi et a consacré sa vie à Dieu, devenant un prophète connu et écouté. Puis un jour, c’est à lui que Jésus s’est adressé et lui a demandé: baptise-moi. Ce petit Jean deviendra, vous l’aviez compris, celui que nous connaissons sous le nom de Jean-Baptiste, Jean le baptiseur. Le rôle qu’il a occupé dans la vie de Jésus, et dans l’histoire du salut, a été si fondamental qu’on a inscrit son action jusque dans son prénom. Jean-Baptiste.
Le prénom que l’on porte constitue une partie de notre identité. Lorsque l’on devient parent, le choix du prénom est une étape importante. Que l’on opte pour la tradition familiale en donnant le prénom d’un ancêtre ou que l’on choisisse justement de s’en distancer. Cela est significatif. En général, les parents se renseignent sur l’étymologie et la signification d’un prénom qui leur plait, se documentent sur les personnes célèbres qui l’ont porté dans le souci de ne pas affubler l’enfant d’une étiquette ou de lui associer une quelconque négativité.
Cette idée que le prénom que l’on porte a un impact sur la personne que l’on est très ancienne. On cherche à donner un prénom qui dise la bénédiction de Dieu et la volonté d’une vie accomplie. On craint de porter malheur à l’enfant en lui donnant un prénom connoté négativement. Dans la Genèse, on se souvient de la naissance de Benjamin, second fils de Jacob et Rachel. L’accouchement se passa mal et Rachel, juste avant de mourir en couches, appelle le nouveau-né «Ben-Oni» ce qui signifie fils de la douleur. Immédiatement, Jacob change le prénom et l’appelle Ben-Yamin (Benjamin) — fils de la main droite. Celle qui porte chance. L’enfant ne doit pas porter jusque dans son prénom le malheur qui a frappé. Il ne doit pas être pour toute sa vie ce fils de la douleur.
Dieu te connaît par ton nom
Jean — Dieu fait grâce. L’enfant a porté dans tout son être cette promesse et la reconnaissance de ses parents pour cette grâce reçue. Mahé. Si je ne me trompe pas, ton prénom doit être la version bretonne d’un prénom construit sur les mots mattith et yhwh et qui signifie «le don de Dieu». Cette racine a aussi donné Mathieu, Mattia ou Matthias. Quoi de plus beau que de porter cette parole: tu es un don de Dieu pour tes parents, pour toutes les personnes qui t’aiment et pour le monde!
Par notre nom, Dieu nous connaît. Il sait qui nous sommes. C’est ce que nous rappelle le prophète Ésaïe. Pour Dieu nous ne sommes pas: des gens. Nous sommes Jacques, André, Antoinette, Suzanne. Dieu a gravé nos noms sur les paumes de sa main. Cette image est extraordinaire!
La paume de la main, c’est une des parties les plus sensibles du corps humain. C’est une partie que l’on peut protéger en refermant les doigts ou qui porte lorsqu’on les ouvre en les dirigeant vers le ciel. Avec les paumes de nos mains, on peut former une sorte de petit nid pour recueillir. C’est par là que passe le contact avec le prochain lorsqu’on lui serre la main.
Dans la paume de sa main, on y écrit parfois quelque chose qu’on ne veut pas oublier (ou ce mot de vocabulaire allemand qu’on n’arrive pas faire entrer dans sa tête). On l’écrit à cet endroit parce qu’on est sûr de le voir. Combien de fois par jour nos yeux tombent-ils sur nos paumes de mains?
La paume de la main est traversée de sillons. Certains les appellent les lignes de la vie.
Dans la paume de ses mains, Dieu a gravé nos noms.
A tout jamais, ils en garde la trace. Juste ici!
Amen