Deux femmes et un enfant

Prédication du culte du 3e dimanche de l’Avent, 12 décembre 2021 à Auvernier.

4 Soyez toujours joyeux d’appartenir au Seigneur. Je le répète : Soyez joyeux ! 5 Que votre bonté soit évidente aux yeux de tous. Le Seigneur viendra bientôt. 6 Ne vous inquiétez de rien v , mais en toute circonstance demandez à Dieu dans la prière ce dont vous avez besoin, et faites-le avec un cœur reconnaissant. 7 Et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce que l’on peut imaginer, gardera vos cœurs et vos pensées en communion avec Jésus-Christ. 8 Enfin, frères, portez votre attention sur tout ce qui est bon et digne de louange : sur tout ce qui est vrai, respectable, juste, pur, agréable et honorable. 9 Mettez en pratique ce que vous avez appris et reçu de moi, ce que vous m’avez entendu dire et vu faire. Et le Dieu qui accorde la paix sera avec vous.

Philippiens 4,4-9

 

39 Dans les jours qui suivirent, Marie se mit en route et se rendit en hâte dans une localité de la région montagneuse de Judée. 40 Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Élisabeth. 41 Au moment où celle-ci entendit la salutation de Marie, l’enfant remua en elle. Élisabeth fut remplie du Saint-Esprit 42 et s’écria d’une voix forte : « Dieu t’a bénie plus que toutes les femmes et sa bénédiction repose sur l’enfant que tu auras ! 43 Qui suis-je pour que la mère de mon Seigneur vienne chez moi ? 44 Car, vois-tu, au moment où j’ai entendu ta salutation, l’enfant a remué de joie en moi. 45 Tu es heureuse : tu as cru que le Seigneur accomplira ce qu’il t’a annoncé ! » 46 Marie dit alors : « De tout mon être je veux dire la grandeur du Seigneur, 47 mon cœur est plein de joie à cause de Dieu, mon Sauveur ; 48 car il a bien voulu abaisser son regard sur moi, son humble servante. Oui, dès maintenant et en tous les temps, les humains me diront bienheureuse, 49 car Dieu le Tout-Puissant a fait pour moi des choses magnifiques.

Évangile de Luc 1,39-49

Georges de La Tour « Le Nouveau-né » (vers 1645)

Deux femmes, un bébé. Voilà ce que Georges de La Tour nous donne à voir. Juste ces deux femmes et un petit enfant emmailloté. Mais nous, nous voyons beaucoup plus que cela. Parce que cette scène fait écho de manière si forte aux récits de Noël qu’on ne peut s’empêcher d’y voir Marie, sa cousine Élisabeth, et l’enfant Jésus. Deux cousines. L’une trop âgée pour espérer encore devenir mère. L’autre si jeune encore. Toutes deux se trouvant réunies par une destinée commune : porter un enfant qui fait partie du plan de Dieu. Mais existe-t-il des enfants qui ne font pas partie du plan de Dieu ?…

Deux femmes, deux bébés à venir. Jean-Baptiste pour le première, Jésus pour la seconde. Et une attitude commune : accueillir comme une bénédiction la volonté de Dieu d’accomplir son œuvre à travers elles.

La femme de gauche est-elle Élisabeth ou une autre femme ? Elle semble plus âgée que Marie en tout cas, les traits de son visage, les plis de son cou laissent entrevoir les années qui séparent ces deux femmes.

Certains y voient plutôt Anne, la mère de Marie. Anne n’apparaît pas dans les récits bibliques du Nouveau Testament mais dans certains récits apocryphes datant d’une époque proche des évangiles de Matthieu, Luc, Marc et Jean, et qui avaient été écartés au moment de constituer le recueil de livres qui forme aujourd’hui notre Nouveau Testament. Ces récits ont continué à être lus parallèlement aux évangiles dits canoniques et ont eu une certaine influence sur la tradition. Pour ne prendre qu’un exemple, citons l’âne et le bœuf que vous ne trouverez à aucune place dans les récits de Noël du Nouveau Testament mais qui habitent bel et bien nos crèches depuis des siècles.

Marie, Élisabeth ou Anne. Mystère. Le titre du tableau est inconnu. Le titre choisi par le peintre en tout cas. Les historiens de l’art l’ont intitulé « Le nouveau-né ».

S’agit-il d’une scène ordinaire ou d’un motif religieux ? Le peintre laisse planer le doute. Aucun décor, aucun accessoire, aucun indice. Rien ne nous met sur la voie. L’arrière-fond sombre et sobre ne permet pas de situer la scène, ni dans le temps ni dans l’espace. Nous sommes renvoyés à nous-mêmes et à notre décision d’y voir l’unique et merveilleuse naissance du Christ ou la plus ordinaire des scènes : une jeune femme portant son enfant dans ses bras. Tous les jours à toute heure quelque part dans le monde, une femme porte son enfant dans ses bras. Cette femme peut aussi bien être Marie que n’importe quelle mère du monde.

Et c’est là une des forces de ce tableau : laisser planer cette ambiguïté et à travers elle nous dire que le Christ est venu au monde de la manière la plus ordinaire. Sans tambours ni trompettes, sans magie ni flon-flon. Qu’il est venu dans le monde réel et quotidien et que c’est encore dans ce monde là qu’il nous est donné de le rencontrer, d’en percevoir sa présence.

Lorsque j’ai vu ce tableau pour la première fois, j’ai pensé qu’il était l’œuvre d’un peintre hollandais. Ces personnages, ces scènes quotidiennes et surtout la finesse du traitement de la lumière m’ont fait pensé à Rembrandt ou Vermeer. C’est bien la même époque (ce tableau est daté d’environ 1640), mais La Tour est un peintre lorrain. Sans doute influencé par ce qui se faisait de mieux à l’époque : l’école hollandaise.

La seule source lumineuse du tableau est la chandelle que la femme porte dans sa main gauche. Seule source de lumière, et pourtant cette chandelle nous ne la voyons pas. Elle est masquée par le geste délicat de sa main droite. De sa main, la femme oriente la lumière vers le centre du tableau, en direction du sujet principal : l’enfant.

Tout attire le regard sur l’enfant. La lumière, les visages des femmes penchés vers l’avant, la ligne de leur nez. Tout. Jusque dans leurs vêtements qui dessinent des lignes en direction du nouveau-né.

La subtilité de cette lumière indirecte donne l’impression que c’est l’enfant lui-même qui est la source de la lumière. Il rayonne. Et son rayonnement éclaire les visages des deux femmes.

L’Ancien Testament est traversé de cette croyance qu’on ne peut voir Dieu face à face. Le voir en face, c’est mourir. Lorsque les prophètes vivent une apparition divine, ils se dépêchent de se cacher le visage. « Ne crains pas » dit Dieu à ce moment là.

Ne crains pas la vue de ton Dieu. Si le peintre avait représenté la flamme, la lumière en serait trop forte, aveuglante. Elle empêcherait notre œil de voir vraiment celui qui doit être vu.

Par la subtilité de ce geste, La Tour témoigne de toute la profondeur de l’incarnation divine que nous célébrons à Noël : le Christ est Dieu, pleinement Dieu. Mais Dieu dans le monde. Dieu accessible à notre œil, à notre compréhension, au contact humain. Voilà le cœur de Noël.

Il rayonne ce petit! Mais qu’a-t-il de spécial cet enfant ? Rien. C’est un nouveau-né comme un autre. Son visage sans expression est celui de n’importe quel petit enfant. Et c’est celui d’un vrai nouveau-né ! Alors que souvent dans la peinture, l’enfant est un adulte miniature, le peintre ici dessine vraiment les traits d’un tout petit.

L’enfant dort, immobile. Il ne fait rien, il n’a rien d’extraordinaire. Rien de plus que n’importe quel nouveau-né. En lui comme en chaque nouveau-né, nous pouvons nous émerveiller du miracle de la vie. Emmailloté, il est immobile. Entièrement sous la responsabilité des mains qui le portent. La lumière reçue, la vie reçue devient ce que l’on en fait.

Le tissu qui l’entoure fait penser à un cocon. Il est un être en devenir. Le ver luisant deviendra papillon (si vous me permettez cette métaphore d’entomologiste)…

Voici que nous entrons aujourd’hui dans la 3e semaine de préparation à Noël. Encore en peu plus de 10 jours et nous y serons, nous célébrerons cette naissance. A la fois tout à fait extraordinaire et pourtant totalement ordinaire.

Celles et ceux d’entre nous qui ont un jour tenu entre leurs bras un enfant tout juste né, s’accorderont sans doute à dire que c’est à la fois la chose la plus naturelle et la plus incroyable qui soit. C’est dans ce genre de miracle ordinaire que Dieu se fait connaître à nous.

Dans la subtilité de l’indirect afin que nos yeux et nos cœurs ne soient pas heurtés ou aveuglés, mais que nous puissions l’accueillir. De même que l’éclat de la lumière vient faire rayonner le cœur de la femme de gauche, de même celui ou celle qui reçoit le Christ dans la foi devrait en diffuser la lumière.

Soyez joyeux lisons-nous dans l’épître aux Philippiens. Rayonnez toujours de joie.

Même dans les moments difficiles, ne laissez pas le souci ou l’inquiétude vous éteindre. Laissez la joie profonde vous inonder et se refléter en vous. Cette joie et cette lumière inondent ce tableau et nous donnent à méditer sur le chemin de l’Avent.

Situation religieuse ou situation profane, le mystère demeure. Mais en réalité quelle importance ? Il n’y a en vrai pas de différence. Dieu s’incarne dans l’humanité.

Amen