Des suiveurs invités à suivre

Prédication du dimanche 7 septembre à Grandchamp et redonnée le dimanche 14 septembre à Auvernier.
Lectures bibliques: Sagesse 9, 13-18 ; Philémon 8-17 et Luc 14, 25-33. A Auvernier, la lecture de l’évangile de Luc est accompagnée du texte de Deutéronome 30,15-20.

Celui qui ne me suit pas ne peut pas être mon disciple

Quelle exigence !
J’ai beau lire et relire ces versets de l’évangile de Luc, les laisser tourner dans mon esprit, les méditer, lire des commentaires,… ils continuent à me perturber. « Quiconque parmi vous ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut être mon disciple. » Ces mots sont si forts, cette exigence si entière que je me sens bien loin d’être à la hauteur. Est-ce tout ou rien ?!?

Un retournement

De grandes foules faisaient route avec Jésus… Ainsi débute le texte. De grandes foules. Les foules dans les évangiles sont toujours anonymes. C’est un groupement de personnes qui perdent de leur individualité du fait même de faire partie de cette entité foule. La foule suit. Elle est curieuse, elle veut voir Jésus, le toucher peut-être. Assister à une guérison, entendre son enseignement. La foule n’a pas d’autre ambition que d’être passive. Faire route avec lui ne l’engage pas. La foule a des attentes vis-à-vis de Jésus : elle veut du spectaculaire, des guérisons miraculeuses ou des disputes verbales avec les pharisiens. Mais a-t-elle conscience que Jésus aussi a des attentes vis-à-vis d’elle ? Ou plus exactement vis-à-vis des individus qui la composent ?

Tout commence par un retournement. La foule anonyme qui suivait Jésus se retrouve soudain face à face avec lui. Elle n’est plus passivement observatrice des actions ou des paroles de Jésus mais elle en devient le destinataire. Jésus s’adresse à eux : aux hommes, aux femmes, aux vieillards, aux enfants. Et il leur dit ces paroles qui font l’effet d’un coup de tonnerre. Le suivre vraiment, c’est autre chose.

Vous attendez beaucoup de moi, mais savez-vous ce que j’attends de vous ? L’exigence est élevée. Il s’agit de préférer le Christ. De faire le choix du Christ.

Préférer le Christ

En nommant ce qui unit une personne à son père, à sa mère, à sa femme, à ses enfants, à ses frères, à ses sœurs, c’est aux liens les plus intimes qu’il fait référence. Bien sûr, on pense tout de suite à des liens beaux, forts et sains. Même si la réalité de beaucoup de personnes ne correspond pas à cet idéal. Dans de nombreuses familles, il y a des liens dysfonctionnels, des personnalités toxiques, de la violence physique ou psychique. Il convient d’être attentifs lorsque nous évoquons cet idéal des liens familiaux à l’écho douloureux que cela peut produire chez certaines personnes.

Mais que les liens soient sains ou problématiques, il y a une chose qui demeure : ce sont des liens qui sont appelés à évoluer. On est toujours l’enfant de sa mère et de son père. Le parent de son enfant et la sœur ou le frère du reste de la fratrie. Mais l’enfant que nous sommes à 2, 5 ou 10 ans n’a pas la même relation avec son parent que celui que nous sommes à 40 ans. Un tout petit enfant a besoin de manière vitale du soin et du lien avec son parent. En grandissant la relation évolue. Dans une relation saine, l’enfant devenu adolescent développe son autonomie ce qui lui donne les outils pour devenir adulte. S’ouvre alors une nouvelle relation, sur pied d’égalité, d’adulte à adulte. Les années passant, le relation parent-enfant finit par s’inverser. A l’automne de la vie, ce sont les parents qui se trouvent avoir besoin de leurs enfants.

Dans toutes ces relations, il y a des passages, des moments clé. Des intersections. A Moïse, Dieu a dit : je place devant toi la vie et la mort. Choisis donc la vie ! Au cœur de ces relations appelées à évoluer au fil de l’existence, Jésus affirme : être son disciple, c’est préférer le Christ. Préférer le Christ, c’est choisir la vie.

Préférer le Christ, ce n’est pas nécessairement rompre avec ses proches, renier son passé ou les liens. C’est refuser de s’enfermer dans des relations si celles-ci n’avancent pas avec la vie. Les recherches psychologiques relèvent l’importance de quitter ses parents pour entrer pleinement dans la vie d’adulte. C’est à dire de clore une forme de relation enfant-parent pour en développer une nouvelle. Préférer le Christ, c’est choisir la vie qui avance.

Un constructeur et un roi

Comme à son habitude, Jésus fait usage du langage des paraboles. Nous obligeant à réfléchir autrement, à aborder les questions sous un autre angle que celui du discours direct. Et étonnamment, au premier abord, alors que l’affirmation qui précède est radicale, les deux paraboles semblent mettre en avant le calcul rationnel de la pesée d’intérêts.

Avant de se lancer dans la construction d’une tour, on s’assied. On prend le temps de calculer et de juger si on a les moyens de réaliser le projet. Avant de se lancer dans une guerre, un roi évalue ses chances de victoire. Est-ce à dire qu’avant de se lancer comme disciple du Christ, il convient de calculer les chances d’y parvenir ? Et si le défi semble trop élevé, convient-il de renoncer ?

Cet esprit semble contraire à d’autres paroles de Jésus qui insistent sur l’urgence de l’engagement, sur l’immédiateté de la conversion, sur la spontanéité de la suivance. Lâcher ses filets et se mettre à la suite de Jésus.

S’inscrire à la suite du Christ est une décision fondamentale. Et elle mérite de prendre le temps de s’asseoir, d’en mesurer l’impact. Nous avons le privilège de vivre dans une région du monde dans laquelle nous ne sommes pas persécutés pour notre foi. Mais ce n’est de loin pas le cas pour une grande partie des chrétiennes et des chrétiens. Décider de suivre Jésus, c’est parfois mettre sa vie et celle de ses proches en danger. Affirmer sa foi peut impliquer ici des mécompréhensions, parfois des jugements. La décision d’entrer dans une vie monacale suscite certainement des questions, peut-être des rejets. Il y a quelque chose d’absolu dans la décision d’entrer dans la vie de foi. Et celle-ci peut provoquer des ruptures. En prendre la mesure, le soin d’en peser les enjeux est fondamental.

Une autre voie

La parabole du roi qui mesure ses chances de remporter une guerre avant de la provoquer ouvre une nouvelle perspective. S’il évalue que ses chances ne sont pas suffisamment élevées, il ouvre la voie diplomatique. Il négocie, il fait des compromis. Mieux vaut une paix, même avec des concessions, qu’une guerre perdue.

Au milieu des paroles de Jésus si radicales, s’ouvre un autre chemin. Et celui-ci nous interdit de tomber dans un écueil : celui de penser qu’il y aurait deux catégories de personnes. Les bons croyants et ceux qui ne le sont pas. Ceux qui suivent vraiment et pleinement le Christ et ceux qui lui tournent le dos. Le roi qui réalise qu’il n’a pas complètement le moyen de ses ambitions cherche une autre voie. Dans l’objectif de la paix. Œuvrer pour la paix, en refusant la violence, est un autre chemin qui mène au Christ.

Et toi, sais-tu ce que j’attends de toi?

Les yeux dans les yeux, Jésus interpelle ceux et celles qu’il invite à sortir de l’anonymat de la foule pour accéder à une vie plus vraie.
Oseras-tu le saut de la foi ? Quand intellectuellement tu adhères aux valeurs de l’évangile, oseras-tu la confiance ? Oseras-tu passer du discours sur Dieu à la relation avec Dieu ?

Les yeux dans les yeux, Jésus interpelle. Et la réponse appartient à chacune et à chacun. Si tu doutes, prends le temps de t’asseoir, de méditer. De peser le pour et le contre. D’évaluer les conséquences pour toi et pour ceux que tu aimes. Si tu hésites, explore une autre voie. Celle de la solidarité et de l’amour du prochain.

Et à toi, qui que tu sois et où que tu te trouves : bonne suite !

Amen