En ce premier dimanche de juillet, au seuil des vacances d’été, je vous invite à une petite balade au jardin et redécouvrant un passage de l’Ancien Testament bien connu, dans le livre de la Genèse.
Le soir, quand souffle la brise, l’homme et la femme entendirent le Seigneur se promener dans le jardin. Ils se cachèrent de lui parmi les arbres. Le Seigneur Dieu appela l’homme et lui demanda: «Où es-tu?» L’homme répondit: «Je t’ai entendu dans le jardin. J’ai eu peur, car je suis nu, et je me suis caché.» — «Qui t’a appris que tu étais nu, demanda le Seigneur Dieu; aurais-tu goûté au fruit que je t’avais défendu de manger?» L’homme répliqua: «C’est la femme que tu m’as donnée pour compagne; c’est elle qui m’a donné ce fruit, et j’en ai mangé.»
Le Seigneur Dieu dit alors à la femme: «Pourquoi as-tu fait cela?» Elle répondit: «Le serpent m’a trompée, et j’ai mangé du fruit.» Alors le Seigneur Dieu dit au serpent:
«Puisque tu as fait cela, je te maudis. Seul de tous les animaux tu devras ramper sur ton ventre et manger de la poussière tous les jours de ta vie. Je mettrai l’hostilité entre la femme et toi, entre sa descendance et la tienne. La sienne t’écrasera la tête, tandis que tu la mordras au talon .»
Le Seigneur dit ensuite à la femme: «Je rendrai tes grossesses pénibles,
tu souffriras pour mettre au monde tes enfants. Tu te sentiras attirée par ton mari, mais il dominera sur toi.»Il dit enfin à l’homme: «Tu as écouté la suggestion de ta femme et tu as mangé le fruit que je t’avais défendu. Eh bien, par ta faute, le sol est maintenant maudit. Tu auras beaucoup de peine à en tirer ta nourriture pendant toute ta vie ; il produira pour toi épines et chardons. Tu devras manger ce qui pousse dans les champs; tu gagneras ton pain à la sueur de ton front, jusqu’à ce que tu retournes à la terre dont tu as été tiré. Car tu es fait de poussière, et tu retourneras à la poussière.»
(…) Le Seigneur Dieu renvoya donc l’homme du jardin d’Éden, pour qu’il aille cultiver le sol dont il avait été tiré.
Genèse 3,8-19-23 (traduction Français courant)
Et dans l’évangile de Jean, cette parole de Jésus:
Jésus dit encore: «Oui, je vous le déclare, c’est la vérité: je suis la porte de l’enclos des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs, des brigands; mais les brebis ne les ont pas écoutés. Je suis la porte. Celui qui entre en passant par moi sera sauvé; il pourra entrer et sortir, et il trouvera sa nourriture.
Jean 10,7-9
Déambulations au jardin
Le voici venu le temps des cerises, comme l’évoquait cette chanson d’un autre temps.
L’été est là dans toute sa générosité. Après une période de confinement qui nous a permis d’observer l’évolution des jardins au printemps, voici le temps de l’épanouissement. En nous gratifiant ainsi, la nature exige aussi de nous une quantité importante de travail. Cueillette, préparations, confitures et conserves. Pour celles et ceux qui aiment jardiner, l’été n’est pas la période du farniente.
Le jardin prend une place importante dans la vie et le quotidien de beaucoup de gens. À défaut de vous proposer des conseils avisés en jardinage, moi qui n’ai pas la main verte, je vous invite à une petite escapade spirituelle dans un jardin.
L’évocation du jardin fait immédiatement résonner dans le monde biblique le célèbre jardin d’Éden. Dans le pays d’Éden, nous dit le texte, le Seigneur Dieu planta un jardin (Gn2,8). Un jardin dans ce pays originel, mythique, dans ce pays des délices, étymologiquement parlant.
Le jardin du Seigneur Dieu pousse dans la plus pure tradition des jardins royaux de Mésopotamie. Espace clos autour du palais royal et d’un sanctuaire, où seul le roi et ses proches sont invités à déambuler.Planté de grands palmiers et de dattiers qui permettent, à leur ombre, à de nombreuses autres plantes de pousser. Variétés de haricots, lentilles, figues et autres fruits. On y cultive tout ce que la nature offre et on y développe ses connaissances en agriculture. La végétation y est abondante et abrite oiseaux et animaux sauvages.
Le jardin antique est une oasis, un parc clos. Ce que nous appellerions peut-être aujourd’hui une réserve naturelle. Le roi s’y promène, y médite. Il y invite aussi parfois les rois des pays voisins et profite d’y asseoir un peu sa puissance. Avoir un beau jardin, y cultiver des espèces rares, c’est démontrer sa capacité à dominer la nature. Une manière subtile de décourager d’éventuelles velléités de conquête du voisin.
Pour traduire le mot jardin, gan en hébreu, les traducteurs grecs de la LXX (traduction ancienne de l’Ancien Testament en langue grecque), ont utilisé le terme paradeisos.
Vous comprenez donc évidemment d’où nous vient cet héritage de l’association entre le jardin d’Éden et le Paradis. Rien en réalité ne situe ce récit au ciel, dans un paradis hors du monde. Au contraire, Dieu nous est ici présenté comme un roi antique se promenant dans son jardin, espace clos et luxuriant autour de son palais. Une représentation purement anthropomorphique du Dieu créateur, du dieu roi.
Le Seigneur Dieu avait alors établi l’homme dans son jardin pour le cultiver et le garder (Gn 3,15), nous dit le texte. Dans son Éden, le Dieu roi a donné une place de choix à l’être humain. Dans ce jardin idéal où les relations vitales sont équilibrées: relations entre les humains et les animaux, relations entre l’homme et la femme, entre l’être humain et Dieu, entre la terre nourricière et l’humanité, Dieu place l’homme pour garder et faire fructifier le jardin. Il lui confie un rôle important dans l’équilibre du pays d’Éden.
Le jardin est alors le lieu où se vit la proximité véritable. L’idéal relationnel: oasis de paix profonde.
Une proximité entre Dieu et l’homme dont nous saisissons parfois la profondeur au détour de quelques instants de grâce que nous offrent nos jardins. Dans le rapport à la terre, à la nature, à la découverte de la bénédiction que sont les fruits que l’on récolte. Jardiner demande du temps, de la patience et devient assurément l’occasion de méditations, de retour à soi, de prière. Le jardin oblige à sortir de chez soi. Parfois même quand il ne fait pas beau ou trop chaud. Et pourtant, le jardin est justement une occasion de mieux se retrouver en soi. Dans son intériorité.
Mais la vocation de l’être humain est bien de vivre hors du jardin d’Éden. Hors d’une nature parfaitement cadrée, maîtrisée, dominée. Les conséquences de la gourmandise trop grande de l’homme et de la femme ne sont pas des punitions. Si le serpent et le sol sont maudits, l’homme et la femme ne le sont pas. Les conséquences de leur désobéissance sont la prise de conscience de la pénibilité du travail, de l’hostilité de la nature, de la douleur de la vie.
L’homme n’est pas condamné à cultiver la terre. Il le faisait déjà en Éden! Mais désormais, la terre sera moins généreuse. Le travail plus exigent. Le résultat moins certain. En Éden, l’homme et la femme ont aspiré à la connaissance du bien et du mal, et à peine cette connaissance acquise, ils se déchargent de leurs responsabilités. C’est la faute de l’autre! En eux, le Seigneur Dieu, ne peut plus trouver des partenaires avec qui s’entretenir lors de ses déambulations dans son jardin.
Les relations vitales sont perturbées. L’équilibre paisible et brisé. Entre les hommes, les animaux, la nature et Dieu, les choses ne relèvent plus (ou pas) de l’évidence. L’être humain n’a dès lors plus rien à faire dans ce jardin royal. Sa place est dans le monde, à cultiver la terre.
Il lui faut cultiver son jardin. Comme Candide. Le héros de Voltaire, au terme de son périple, renonce à la philosophie et à la métaphysique pour s’occuper, à son échelle, de ce qu’il est capable de changer. Il se concentre sur ce sur quoi il a prise. Dans la confiance que l’être humain est capable d’améliorer sa condition.
En cultivant son jardin, l’homme bien sûr agit à son échelle. Il cultive aussi sa vie intérieure. Son jardin intérieur.Du lieu clos et sécurisé du jardin royal, l’être humain se retrouve face à la nature infinie. Il se réfugie dans la sécurité de l’espace maîtrisé pour mieux puiser les forces de vivre sa vocation dans le monde. Une ouverture au monde possible que s’il prend soin de son espace intime.
Et cette parole de Jésus qui résonne: «Je suis la porte de l’enclos. Celui qui entre par moi sera sauvé, il pourra entrer et sortir, et il trouvera sa nourriture.»
Cette porte. Itinéraire ouvert pour passer de l’intérieur à l’extérieur. Et de l’extérieur, pouvoir revenir à l’intérieur. Le Christ comme celui qui nous donne de trouver en lui le passage, la clé de ces relations saines avec la terre, avec les autres, avec soi, avec Dieu.
Demeure maintenant devant nous l’envie de cultiver cette relation avec celui qui nous permet d’entrer et de sortir de nos jardins.
Amen.
Reprise du Temps des cerises par Joan Beaz