A méditer cet été, les pieds dans l’eau

Prédication du dimanche 1er juillet 2018 sur 2 Corinthiens 8,1-15

Avant d’écouter la lecture de ce jour, rappelons-nous le contexte de la première Église.
Lors de l’Assemblée de Jérusalem, un accord a été passé entre Pierre et ses acolytes d’une part, et Paul et ses collaborateurs d’autre part. Les premiers concentreraient leurs efforts sur la christianisation du monde juif, alors que les seconds iraient porter l’Évangile en terre païenne.
Les publics cibles – dirions-nous aujourd’hui – seraient différents, mais l’objectif le même: faire connaître le plus largement possible le message de l’Évangile de Jésus-Christ et offrir la possibilité à tout homme et toute femme qu’elle que soit son origine de connaître la foi chrétienne et de s’y convertir.

En signe d’unité et d’union entre tous ces membres disséminés du peuple de Dieu, Paul s’était engagé à ce que les nouvelles communautés fondées grâce à son œuvre évangélisatrice témoignent leur solidarité avec les communautés de Judée. Une solidarité dans la prière, mais pas uniquement. Une solidarité aussi exprimée de manière très concrète: une collecte d’argent pour soutenir ces premiers chrétiens vivant dans un contexte hostile. Paul et ses collaborateurs ont sillonné la Grèce et la Macédoine, proclamant l’Évangile et fondant des Églises. Nous avons dans plusieurs épîtres le signe qu’il a eu à cœur d’honorer cet engagement.

Dans le texte du jour de ce dimanche, nous nous plongeons dans un passage de la 2e épître de Paul aux Corinthiens. Les chrétiens de Corinthe avaient réagi avec un fort élan au projet de collecte. A la fin de la 1ère épître, Paul avait donné des instructions pratiques: chacun met de côté chaque dimanche une somme d’argent, proportionnellement à ce qu’il a gagné. Dans la 2e épître, Paul donne des nouvelles des autres communautés et annonce la venue de Tite, son collaborateur, qui récoltera l’argent lors de sa visite.

Écoutons le début de ce texte.

1 Frères, nous désirons que vous sachiez comment la grâce de Dieu s’est manifestée dans les Églises de Macédoine. 2 Les fidèles y ont été éprouvés par de sérieuses détresses ; mais leur joie était si grande qu’ils se sont montrés extrêmement généreux, bien que très pauvres. 3 J’en suis témoin, ils ont donné selon leurs possibilités et même au-delà, et cela spontanément. 4 Ils nous ont demandé avec beaucoup d’insistance la faveur de participer à l’envoi d’une aide aux croyants de Judée. 5 Ils en ont fait plus que nous n’espérions : ils se sont d’abord donnés au Seigneur et ensuite, par la volonté de Dieu, également à nous. 6 C’est pourquoi nous avons prié Tite de mener à bonne fin, chez vous, cette œuvre généreuse, comme il l’avait commencée.

Voici venu pour les Corinthiens le moment de passer de la promesse aux actes. Et le passage du dire au faire n’est aisé pour personne. En un instant, l’engagement d’hier devient concret aujourd’hui. Les paroles d’autrefois doivent se transformer en monnaie sonnante et trébuchante.

Est-ce pour encourager les Corinthiens ou est-ce pour faire habilement pression sur eux, Paul met en perspective leurs généreuses promesses avec les dons effectivement réalisés par la communauté de Macédoine, pourtant moins aisée.
Paul et ses collaborateurs ont eu à cœur, dans les premières décennies de l’ère chrétienne, de mettre en lien les communautés. Ils donnaient des nouvelles les unes des autres, tenaient informées de la naissance d’un nouveau groupe de chrétiens dans telle ville, ou que de nouvelles familles avaient demandé à recevoir le baptême. Malgré la distance, les nouvelles parvenaient et créaient une forme de proximité entre les chrétiens d’une région et ceux d’une autre.
Dans une période de christianisme fortement minoritaire, voire confidentiel, il était primordial de mettre en réseau les groupes frères, même éloignés de plusieurs milliers de kilomètres. Aujourd’hui encore, nous avons régulièrement l’occasion d’avoir des aperçus des réalités de communautés chrétiennes de l’autre bout du monde, par le DM Échange et Mission, la CEEVA ou la journée mondiale de prière. Par internet ou d’autres réseaux entre Églises.

Mais au fond, que savons-nous des communautés de frères et sœurs qui sont juste nos voisins. Que savons-nous des réalités des autres paroisses de notre Canton ou, pire encore, de celles qui se trouvent juste de l’autre côté de la frontière cantonale. Concise ?… Il y a des chrétiens là-bas ?!?

Les moyens de communications sont aujourd’hui bien plus performants et pourtant, on vit quand même beaucoup pour nous. Entre nous. Et même au sein d’une même paroisse, nous avons nos groupes, nos équipes. Parfois sans connaissance même de ce que vivent celles et ceux qui font partie d’un autre groupe: les visiteurs bénévoles, les familles de l’Éveil à la foi, les ados, les 60+ qui partiront en camp la semaine prochaine. C’est ainsi. Chacun sa réalité.
Et je me dis parfois qu’en paroisse, nous devrions chercher à mieux soigner les liens, ne serait-ce qu’en se donnant des nouvelles à l’image de ce que Paul faisait.
Se sentir ainsi faire partie d’une seule et même communauté en reconnaissant que ce que vivent les autres est important, même si ce n’est pas notre manière de vivre notre foi par exemple en venant au culte régulièrement le dimanche. C’est déjà commencer à se sentir faire partie d’un réseau de croyants.

Après donc avoir donné des nouvelles de Macédoine et annoncé l’arrivée de Tite, écoutons ce que Paul écrit aux Corinthiens.

7 Vous êtes riches en tout : foi, don de la parole, connaissance, zèle sans limite et amour que nous avons éveillé en vous i . Par conséquent nous désirons que vous vous montriez riches également dans cette œuvre généreuse.
8 Ce n’est pas un ordre que je vous donne : mais en vous parlant du zèle des autres, je vous offre l’occasion de prouver la réalité de votre amour. 9 Car vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ : lui qui était riche, il s’est fait pauvre en votre faveur j , afin de vous enrichir par sa pauvreté.
10 Ainsi, je vous donne mon opinion dans cette affaire : il est bon pour vous de persévérer, vous qui, l’année dernière, avez été les premiers non seulement à agir, mais encore à décider d’agir.

Ce que j’admire toujours chez l’apôtre Paul, c’est que pour lui, il n’y a pas de questions concrètes qui ne soient pas aussi spirituelles.Rien n’est trop terre à terre pour ne pas mériter d’être pensé de manière globale et théologique. D’être vécu devant Dieu.

Nous peinons souvent à appréhender les questions financières, organisationnelles ou administratives dans cette perspective. Comme si il y avait d’un côté les vraies histoires de la foi, et de l’autre les basses réalités humaines qu’il faut bien traiter, mais qui au fond, ne présentent aucun intérêt pour le sens de nos vies.
La lecture des épîtres de Paul contredit absolument cette vision. A tout moment, il expose son interprétation de questionnements des plus concrets. Situations auxquelles les communautés sont confrontées et qui interrogent l’apôtre. Tout est pensé de manière spirituelle, c’est-à-dire, comme ayant une portée sur la foi, le sens de la vie, le rapport à Dieu.

Notre manière d’utiliser notre argent dit évidemment quelque chose de nos priorités, de notre responsabilité vis-à-vis des autres, de la planète, de notre égoïsme ou de notre générosité. Il y a un lien direct entre notre gestion et notre manière de comprendre la vie, notre place dans ce monde. Les questions d’organisation aussi: quand vous reçoit quelqu’un, on soigne l’accueil. Cela dit quelque chose du respect, de l’amour que l’on a pour l’autre. Vue dans cette perspective, toute action est une mise en œuvre concrète d’une pensée, d’une théologie, d’une foi. Et donc toute situation humaine peut être l’occasion d’une expérience spirituelle qui fait grandir.

Exercice pratique cette semaine pour moi: un rendez-vous chez le dentiste!
Allongée la tête en arrière, 2 paires de mirettes dépassant des masques médicaux fixées sur moi, 4 mains et au moins autant d’instruments à l’intérieur de ma bouche grande ouverte, je me suis efforcée de me demander comment ce qui je vivais pouvait devenir pour moi source d’édification spirituelle.
Alors je vous avoue que j’ai été quelques fois interrompue dans ma méditation, mais j’ai quand même réussi à réfléchir au texte qui nous occupe aujourd’hui et à parvenir à la conclusion que, même si l’instant ne m’apparaissait pas directement spirituel, le fait seul d’avoir essayer de placer ce moment sous cet angle était déjà un premier pas.

Nous voici en ce jour au seuil du mois de juillet, l’été s’ouvre devant nous. Mer, montagne, jardin ou bord du lac, les occasions seront certainement nombreuses pour vous et moi de nous poser cette question: comment faire de l’instant que je vis, des questionnements ou des problèmes qui se présentent à moi, des occasions d’édification spirituelle?
Et il serait intéressant, après les vacances, que nous partagions nos réflexions et nos expériences.

Mais redonnons encore la parole à notre cher apôtre Paul pour écouter la suite et la fin du passage de ce jour.

11 Maintenant donc, achevez de réaliser cette oeuvre. Mettez autant de bonne volonté à l’achever que vous en avez mis à la décider, et cela selon vos moyens. 12 Car si l’on y met de la bonne volonté, Dieu accepte le don offert en tenant compte de ce que l’on a et non de ce que l’on n’a pas.
13 Il ne s’agit pas de vous faire tomber dans le besoin pour soulager les autres, mais c’est une question d’égalité. 14 En ce moment, vous êtes dans l’abondance et vous pouvez donc venir en aide à ceux qui sont dans le besoin. Puis, si vous êtes un jour dans le besoin et eux dans l’abondance, ils pourront vous venir en aide. C’est ainsi qu’il y aura égalité, 15 conformément à ce que l’Écriture déclare :
« Celui qui en avait beaucoup ramassé n’en avait pas trop, et celui qui en avait peu ramassé n’en manquait pas. »

Celui qui en avait beaucoup ramassé n’en avait pas trop, et celui qui en avait peu ramassé n’en manquait pas. Vous avez certainement saisi la référence au livre de l’Exode et à la manne, tombée du ciel, que le peuple hébreu ramassait chaque jour pour se nourrir.

Une référence que Paul cite pour illustrer son propos: différencier l’équité de l’égalité. Il n’est pas nécessairement juste et équitable de tous recevoir la quantité égale de manne. De même qu’il n’est pas nécessairement juste et équitable que toutes les communautés donnent la même somme d’argent.
L’égalité absolue, en cherchant à établir une forme de justice objective, implique des inégalités. Cela semble évident à certaines échelles, on ne peut demander la même collecte à une petite communauté constituée de personnes qui ont peu de moyens qu’à la grande famille chrétienne de la riche ville de Corinthe.
Mais ce qui nous semble ici évident l’est parfois moins dans des situations plus banales. Comme parent et grand-parent, nous nous posons ce type de question quand il s’agit d’offrir des cadeaux aux enfants par exemple. Qu’est-ce qui est juste?
Dépenser une somme égale pour chacun ou viser d’abord à faire plaisir en choisissant ce qui sera vraiment à leur goût. On a tout de suite envie de dire qu’il est d’abord important de faire plaisir. Mais qui d’entre nous ne serait pas gêné d’acheter à l’un un cadeau à 50.- et à l’autre quelque chose à 6.20?!?

Encore des petites choses.
Des situations concrètes qui se présentent à nous au quotidien.
Et autant d’occasions de questionnements existentiels et spirituels et qui peuvent nous faire grandir.

Je vous souhaite donc un bel été, en espérant que vous aurez plus l’occasion de méditer ces questions sur une chaise longue que sur celles d’un dentiste.

Amen