La musique de la Parole

Prédication du culte musical avec le Duo Æoline, le 10 février 2019 au temple de Colombier.

Les deux jeunes musiciens Charlotte Schneider et Guy-Baptiste Jaccottet nous ont offert un merveilleux moment de musique favorable à la méditation et à la communion.

Les musiciens offrent leur musique et cherchent à transmettre ce qu’elle leur fait vivre. Les chrétiens en font-ils de même avec l’Évangile? C’est la question qui est en arrière-fond de cette prédication.

Lectures bibliques: 1 Samuel 18,6-11 et 1 Corinthiens 14,1-2.7-12

Charlotte Schneider et Guy-Baptiste Jaccottet forment le Duo AEoline

La musicothérapie ne fait plus effet

Saül est hors de lui.
Il ne peut plus entendre la lyre de David. Les sons qui en sortent et qui hier calmaient ses crises lui sont devenus insupportables.
Une chanson révèle cette jalousie, attisée par les mélodies du si brillant… mais si agaçant David.

J’oublie parfois combien les récits bibliques, qui se présentent à nous uniquement sous forme de textes, sont en réalité remplis de sons, d’odeurs, de sable, de sueur, de parfums, de fruits et de musique.
Et tout particulièrement certains passages de l’Ancien Testament, telle que l’histoire de David par exemple. Il est constamment question de chants, de danses et de musique.
C’est dommage que nous ne cultivions pas suffisamment ces dimensions des récits. Car on le sait, les sens travaillent de concert.
On mémorisera mieux un texte si on l’associe à une mélodie.
Une odeur nous rappelle un lieu, une personne. Une ambiance.
Tout est lié. L’intellect, les émotions, la mémoire, les sens…

Certaines musiques sont associées à un événement.
Les couples ont souvent leur chanson parce qu’elle leur rappelle leur rencontre, leur premier rendez-vous, un moment important dans leur histoire d’amour.
Une chanson d’amour.
Une comptine d’enfance, Madeleine de Proust, nous renvoie à nos jeunes années.
Et les larmes nous montent aux yeux à l’écoute des premières notes d’une mélodie qui nous fait penser à une personnes aujourd’hui disparue.

Nos vies en musique

En préparant le culte de ce matin, je me suis posé la question de la place qu’occupait la musique dans ma vie.
Et j’ai pris conscience de l’accès incroyablement facile que nous avons à la musique.
C’était déjà le cas il y a une dizaine d’années avec les CD qui occupaient des rayonnages entiers dans nos salons. C’est encore plus facile aujourd’hui avec les plateforme en ligne.
Tout Bach ou tout Telemann à portée de clic. Aussi aisément que Queen, Barbara, Coldplay ou Juliette Armanet.
Dans nos foyers, dans la voiture, et partout ailleurs puisque cette mine d’or musicale dort dans nos téléphones portables.

Qu’elle ait été jouée ici ou à Shangai, il y a 20 ans ou 20 minutes, elle est déjà dans mes oreilles.
Quelle folie !
Les possibilités sont infinies. On ne cesse de découvrir ou de redécouvrir des mélodies nouvelles.
De partager ce qu’on aime, de le faire connaître à d’autres.

Regardez les ados dans le tram, qui transportent avec eux l’univers musical dans lequel ils se sentent bien.
Avec leurs écouteurs, on dirait qu’ils sont isolés.
Mais si vous regardez bien, ils partagent souvent leur écouteur avec leur voisin. Et ce n’est pas parce que le copain ou la copine n’a pas son téléphone ou son écouteur, mais parce qu’ils écoutent ensemble, la même musique.
Ce qui semble au premier abord être un comportement d’isolement et en réalité éminemment social.
Ils écoutent ensemble. Se font découvrir de nouveaux groupes et révèlent quelque chose d’eux-mêmes à leurs amis. Nos goûts musicaux disent tant de nos personnes.

Pouvons-nous encore imaginer le temps où pour entendre de la musique, il fallait que quelqu’un la joue ?
Pas hier ou il y a une heure, mais maintenant.
Un temps où la musique ne pouvait exister que dans l’instant.
Un temps où, sans doute, se baladait-on plus facilement avec une flûte toujours à portée de main.
L’instrument le plus simple, le plus maniable, le plus universel. Un simple roseau percé de quelques trous.
L’instrument est simple. Tout l’art réside évidemment dans le fait d’en émettre de beaux sons.

Quelle chance pour nous d’avoir ce matin Charlotte et Guy-Baptiste qui font chanter avec tant de talent leur instrument respectif.
Le plus maniable et le plus inamovible des instruments à vents: la flûte et l’orgue.
Du talent, et du travail aussi.
Et puis de la générosité.
Car pour faire de la musique, il ne s’agit pas seulement d’exécuter des notes, de traduire des notes écrites sur une portée en des sons. La musique se joue, s’interprète, elle se donne.
Jouer de la musique est un acte de générosité.
J’oserais même dire, d’amour.

De la générosité et de l’amour

L’amour justement.
Je ne vous surprendrai pas si je vous dis que le chapitre 14 de l’épître aux Corinthiens, dont nous avons entendu un extrait, suit le chapitre 13(!…)

Ce chapitre 13 est bien connu. On le lit volontiers les jours de mariage. Il est tout entier centré sur l’amour.
Le premier verset du chapitre 14 est donc un enchaînement Recherchez avant tout l’amour… avant d’aborder un autre sujet, celui des dons spirituels.

Dans la communauté chrétienne de la ville de Corinthe, certains tiraient grande fierté des dons spirituels qu’ils prétendaient posséder.
L’un de ces dons consistait en parler en langues.
Une pratique qu’on associerait aujourd’hui à une forme d’ésotérisme ou de transe dans laquelle un individu se met à déclamer et à prier dans une langue inconnue. La langue des anges dit-on.

Le parler en langues n’a plus cours aujourd’hui dans nos communautés réformées classiques, mais il s’agit d’un don spirituel dont la valeur était reconnue et qui est encore pratiquée dans certaines communautés charismatiques.
Les Corinthiens qui possédaient ce don semblaient en être très fiers, mais Paul les remet fermement en place.
Les dons spirituels doivent servir à la communauté et non en premier lieu à celui qui le possède.
Le parler en langue n’édifie que celui qui l’exerce. Puisque son langage est incompréhensible, il ne peut édifier quiconque d’autre.
A moins qu’il ne soit interprété.
Dans ce cas là, c’est à l’interprétation de ces paroles qu’il faut donner la place et non pas à la démonstration de la transe.

Pour appuyer ses dires, Paul prend l’exemple des instruments de musique.
De la flûte ou de la harpe qui ne transmettent rien si elles exécutent des notes indistinctement.
De la trompette qui ne peut appeler au combat si personne n’est en mesure de reconnaître sa mélodie.
La cacophonie peut certes impressionner un moment. Mais à la longue, elle se révèle être une bien piètre nourriture spirituelle.

Plus grand don spirituel que le parler en langues, est celui de la prophétie. Ou de proclamation.
La capacité à dire, simplement, le message qui vient de Dieu.
A transmettre l’Évangile dans un langage compréhensible.
La langue est aussi un instrument de musique. Peut-être le plus noble de tous. Celui dont Dieu nous a à toutes et tous fait le don.
C’est un instrument qui ne produit pas seulement des sons plus ou moins harmonieux mais qui fait entendre de mots, des paroles.
Ces paroles doivent être claires et distinctes comme les notes d’une mélodie. Si la bouche humaine ne prononce que des balbutiements inintelligibles, c’est un instrument désaccordé et qui ne remplit plus son office.

Une langue inintelligible?

Sommes-nous toujours intelligibles, nous en Église ?
J’en doute…
Nous avons nos balbutiements, nos habitudes, nos formules qui parlent à ceux pour qui elles sont familières. Mais qui sont parfois bien obscures, voire hermétiques…
Si je ne connais pas une langue, écrivait Paul, celui qui la parle sera un étranger pour moi et moi un étranger pour lui. Un étranger, un barbare pour reprendre le terme grec.
Gardons-nous de devenir des barbares pour nos contemporains !

Vous avez déjà écouté le culte à la radio, n’est-ce pas ?
Vous savez ce que je peine à supporter au culte à la radio ? Ce sont les cantiques.
C’est pas beau.
Et pourtant, je sais les efforts qui sont consentis par les paroisses qui accueillent les micros.
Il faut l’avouer, la qualité de chant de nos cantiques au culte est rarement brillante. Et la radio nous renvoie cette réalité sans ménagement.
On ne peut pas dire qu’on est emportés dans une grande expérience spirituelle quand on chante au culte.
C’est dommage. Dommage qu’on ne prenne pas plus de plaisir à chanter ensemble. A faire de la musique ensemble.

Tout est lié disions-nous.
Tout est lié. L’intellect, les émotions, la mémoire, les sens…

Malgré l’accès illimité à toute musique, on va toujours au concert.
Parce qu’on y vit quelque chose.
Pour le plaisir de l’instant.
Pour la beauté du moment.
Pour l’événement.
Historiquement, l’événement du culte dominical c’est la prédication.
Mais en réalité c’est parfois autre chose.
L’instant qui marque, ça peut être la joie d’y rencontrer une personne à laquelle on tient.
Cela peut être le repas qui suit.
La prière qui nous a permis de déposer ce que nous avions sur le cœur.
Le ravissement de la décoration florale.
Le simple fait de se sentir bien, là, dans l’instant. Et de sentir qu’on est à sa place en ce dimanche matin.
L’événement du culte, c’est ce qui nous marque.
Ce matin, c’est peut-être cette musique qui nous est offerte avec générosité et amour.

Amen

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