Ce petit manque qui gâche la fête

Prédication du culte d’installation dans la paroisse de La BARC, le 14 janvier 2018 au temple de Colombier, sur Jean 2,1-11 (les noces de Cana). Lecture biblique: 2 Pierre 1,2-8

On va manquer de vin!
Pas aujourd’hui, je vous rassure. Je crois que tout a été prévu pour que nous ne manquions pas, ni à la cène ni lors de l’apéritif qui suivra le culte. C’est à la noce à laquelle Jésus et ses proches sont associés que le vin vient à manquer.

Cette histoire des noces de Cana se situe tout au début de l’évangile de Jean, c’est la première fois que Jésus opère un miracle, un signe comme le dit le 4e évangéliste. Et même si les signes vont crescendo dans l’évangile, on se dit que cela ne semble pas si grave de manquer de vin. Même si je sais que dans la région, c’est un sujet sensible.
S’il s’agissait d’un manque d’eau au milieu du désert ou d’un manque de pain en période de disette, on comprendrait la nécessité de l’intervention divine. Mais pour un manque de vin dans une noce où il en a certainement déjà été beaucoup bu… on voit moins.

Et pourtant… pourtant les aspects concrets et pratiques comptent. Lorsqu’on organise un événement ou que l’on reçoit chez soi, on s’investit pour toutes les questions pratiques. Les mets, les boissons, la décoration, l’agencement.
Qui va mettre et ranger les tables… aurons-nous assez de petits fours… quelle couleur de nappes et de serviettes s’accorderont avec les fleurs de saison, etc.

Et toi, lorsque tu reçois, ne t’inquiètes-tu pas de ne pas avoir assez pour contenter tes convives ??

Dans le monde oriental, on accorde une grande importance à l’hospitalité. Au temps de Jésus, une fête de noces dure une semaine entière. Il faut nourrir et abreuver tout ce petit monde. La réputation de l’hôte qui n’aurait pas su prévoir suffisamment de vin est en jeu. Naturellement, le manque de vin ne menace aucunement la survie des convives, ni même leur possible soif puisqu’il y a de l’eau. En revanche, leur joie est menacée.
Ce manque ne menace pas la vie, mais il menace la fête.

Et Marie y est sensible. Et au fond, je suis sûre que toi aussi! Nous ne fonctionnons pas différemment.
Il suffit de demander à quelqu’un: ça s’est bien passé, telle ou telle soirée? On vous répondra toujours en vous disant le petit couac qu’il y a eu (le micro ne marchait pas ou on n’avait pas fait assez de desserts), quand bien même la soirée était très sympa.
Nous avons comme ça une propension à retenir ce qui ne va pas. A mettre le doigt sur les grains de sables qui font gripper les rouages.

Et toi, vois-tu plutôt le verre à moitié plein ou le verre à moitié vide ?

Est-ce par volonté de maîtrise ou par perfectionnisme? Ou simplement parce qu’il est humain de ressentir un manque d’accomplissement total.
Le récit des noces de Cana insiste de plusieurs manières sur ce sentiment de manque.
Les vases de pierre que Jésus demande de remplir d’eau sont au nombre de 6. Symboliquement, 6 c’est… juste pas 7.
7 c’est la perfection, c’est l’accomplissement. C’est un tout, complet. Le 6 grince un peu, car on sent la frustration qu’il n’y en ait pas juste un de plus. Comme lorsque la mélodie d’une boîte à musique ralentit puis s’arrête à l’avant-dernière note. Toi aussi, je suis sûre, tu chantonnes la dernière note dans ta tête!
Nous avons besoin de la résolution, de l’accomplissement.

Dans ces 6 jarres, il y a quelque chose d’incomplet. Et elles sont en pierre. Allusion à l’ancienne alliance que Dieu a scellée avec son peuple. La nouvelle, comme l’ont annoncé les prophètes, sera inscrite dans les cœurs. On met dans ces vases l’eau pour les rites religieux. Des rites qui ont perdu leur sens, qui stagnent et qui ne suffisent plus à apporter la joie et le lien avec Dieu.
Tous ces éléments font ressentir le manque, mais aussi la soif d’autre chose.

Me voici nouvellement arrivée dans la paroisse. Nouveau départ pour moi, nouveau départ pour vous aussi. Il faut le temps de s’apprivoiser. Installée ce matin dans mon ministère parmi vous, je dois vous dire mon immense reconnaissance pour l’accueil qui m’a été réservé. A moi mais aussi à ma famille. Je ressens ici une joie sincère et cela me touche beaucoup.
Cela fait du bien de voir et de vivre cela en Église.
Car, il ne faut pas nous voiler la face, notre Église fait face à des difficultés. À des manques.
Au début de mon ministère, les difficultés étaient financières. Une crise assez grave de ressources dont nous peinons à nous remettre. Dont nous peinons surtout à changer l’image, me semble-t-il. Désormais, sitôt que l’on parle de l’Église, que ce soit dans le canton ou même en Suisse romande, la seule chose que les gens en savent, c’est que nous n’avons pas de sous.
C’est un peu triste quand même…
Nous avons beaucoup parlé de nos manques. Notre erreur a peut-être été de parler uniquement de nos manques.

Et toi, comment parles-tu de ton Église?

Aujourd’hui, les difficultés de notre Église sont moins financières qu’humaines. Le nombre de protestants dans le canton descend en flèche, et le signe le plus visible en est le nombre d’enfants et d’adolescents qui participent à nos activités.
Parallèlement, le nombre d’étudiants en théologie et de jeunes gens qui se destinent à un ministère en Suisse romande est catastrophiquement bas. Trouverons-nous d’autres moyens que de nous morfondre pour affronter ces manques?

En 2015 le Synode de notre Église a pris la décision de nous mettre en mode « évangélisation ». Ce mot fait grincer quelques dents car il est souvent associé au prosélytisme intrusif auquel les bons réformés que nous sommes sont allergiques. Bornons-nous à entendre dans ce terme le fait de proclamer l’Évangile: le message même qui est au centre de notre foi.

L’idée principale est de redonner conscience à tous les croyants – et en premier titre aux membres des paroisses – que chacun et chacune est un relai du Christ dans le monde. Avec l’envie de devenir moins une Église qui se plaint de ses problèmes qu’une Église qui témoigne de sa joie. Car vivre de la foi devrait être une joie!


Et toi, transmets-tu la joie de l’Évangile autour de toi ?

De ces 6 vases en pierre destinés aux rites,
de ce manque et ces gestes religieux qui ont perdu leur sens,
Jésus fait renaître la joie, il permet la fête.

Et il ne le fait pas de manière ostentatoire. Il le fait en toute discrétion. Presque dans le secret.
La plupart des convives n’auront même pas su qu’il manquait du vin.
Mais il sauront apprécier et relever la qualité exceptionnelle du breuvage qui leur est servi.
Et de celui-ci, ils ne manqueront pas. 6 jarres de 100 litres chacune! Il y a de quoi faire une noce d’enfer si vous me permettez l’expression!
Personne ne relève le miracle, personne ne l’acclame pour le prodige.
Il est seulement dit que les serviteurs savaient d’où venait ce vin et que ses disciples crurent en lui.

L’action de Jésus est un signe qui renforce la confiance de ceux qui le suivent déjà.
Il renouvelle la foi des croyants.

Et toi, quels sont les signes qui renouvellent ta foi ?

L’action de Jésus, pour ceux qui ne le connaissent pas, pour ceux qui n’ont rien vu mais qui font honneur au bon vin, est en premier source de réjouissance.

Quel beau programme pour nous: pour toi, pour vous et pour moi.
Dans ces années à venir où nous ferons vivre ensemble la paroisse.
Quel beau programme que de chercher ensemble à discerner les signes du Christ, de son action dans nos vies, qui renforcent notre foi.
Quelle belle perspective que de permettre à celles et ceux qui ne le connaissent pas de découvrir sa joie.

Et toi, participeras-tu à la fête?

Amen