Bonne (!) année

Prédication du dimanche 10 janvier 2016
Textes bibliques: Genèse 12,1-5a (envoi d’Abram) et Marc 14,66-72 (reniement de Pierre)

Le début de l’année, c’est la période des vœux. Formuler ce que l’on espère pour chacun, écrire des petites cartes, se souhaiter le meilleur pour l’année à venir. Il n’est pas toujours facile de trouver les mots pour exprimer nos vœux. Trouver quelque chose de concret à espérer. Souvent, nous utilisons des formules stéréotypées. La forme devient alors tout à fait banale, mais le fond n’en est pas moins sincère.

Le début d’une nouvelle année nous donne l’occasion d’exprimer ce que, finalement, nous souhaitons toute l’année: à savoir que nos proches ou que les personnes que nous côtoyons régulièrement ou occasionnellement aient une vie heureuse. Le reste de l’année, nous n’en disons rien. Ce serait considéré comme étrange d’écrire une petite carte à son garagiste au mois de juin ou d’envoyer une boîte de chocolats à son patron en septembre.

Que nous réserve cette nouvelle année?
Que sera l’année 2016 dans nos vies?
Que sera cette année dans notre monde?

Des questions ouvertes. Mais comme le disait l’autre jour un politologue à la radio, rien ne nous permet d’être optimistes. En effet, dans une année tout juste, lorsque nous ferons le bilan de 2016, il y a fort à parier que nous n’évoquerons pas le Moyen-Orient en disant que la situation est désormais pacifiée. On sait que le monde est aujourd’hui engagé dans des relations difficiles pour plusieurs années, avec toutes les conséquences humaines, sociales et politiques. On sait aussi que les enjeux sont mondiaux et que nous ne serons pas épargnés par les conséquences des conflits sur la planète. Sur le plan international, nous allons au devant d’une année difficile, sans doute, et les grands décideurs du monde le savent bien.
Si rien nous nous autorise à être optimistes, il convient aussi de voir que la lutte contre le virus Ebola a été couronnée de succès. N’oublions pas dans nos bilans ce qui nous permet d’espérer et nous encourage à agir encore.

En chaque début d’année, les espérances pour l’avenir vont de pair avec un bilan de ce qui a été vécu auparavant. Il en est de même sur un plan plus personnel. Une fois répertoriés avec lucidité les échecs et les réussites, les joies et les regrets passés, on peut se lancer dans l’avenir.

Le temps des résolutions

Le passage d’une année à l’autre est aussi le moment des bonnes résolutions. On se promet à soi-même de reprendre contact avec les amis perdus de vue, de ménager sa santé, d’arrêter de fumer, de se mettre à faire du sport, de consacrer plus de temps à ses proches. Bref, d’éviter de faire les mêmes erreurs que par le passé. La nouvelle année, c’est un nouveau départ. On aimerait que ce départ soit comme celui d’Abraham. Pleins de confiance et d’insouciance, nous nous lançons les yeux fermés. Gonflés à bloc, nous nous engageons avec enthousiasme vers l’avenir.

Mais la réalité de notre quotidien nous rattrape vite. À peine sommes-nous au 10 janvier que déjà les soucis au travail reprennent, que les gens dans les rues n’ont plus leur sourire de Noël vissé sur le visage et que les vacances sont derrière depuis longtemps. Les bonnes résolutions sont oubliées, de toute façon on avait mis la barre trop haut, on n’aurait jamais tenu toute l’année sans fumer ni manger de chocolat, 10 jours c’est déjà pas mal… On persévère pour la bonne conscience mais l’élan de motivation et d’insouciance n’y est plus.

Aborder la nouvelle année en se fixant des objectifs inatteignables a quelque chose de superficiel et de désespérant. Pour que nos résolutions aient un sens, il faut qu’elles soient cohérentes avec le bilan que l’on peut tirer de l’année précédente. Regarder en arrière pour mieux partir vers l’avant.

Mais je crains que tout à coup, notre ressemblance avec Abraham soit moins évidente. C’est fou comme nous sommes loin de ce héros, chef de famille, bardé de confiance en soi et en Dieu, qui est prêt à abandonner tout ce qu’il a bâti pour tout recommencer de zéro. Et ce, à un âge déjà avancé. Les occasions sont rares où dans notre vie, nous sommes prêts à tout risquer.

Un côté moins reluisant

En faisant le bilan, il me semble que l’on ressemble plus souvent à Pierre qu’à Abraham. Évidemment, le passage que nous avons lu ce matin n’est pas celui où le disciple apparaît sous son meilleur jour. Mais Pierre n’est pas seulement l’homme qui a renié Jésus pendant qu’il était interrogé par le Sanhédrin. Pierre est aussi l’ami fidèle, le compagnon de voyage, le téméraire qui se risque à sortir de sa barque pendant la tempête, et finalement celui que l’Église a su reconnaître dans un rôle enviable, celui de pilier fondateur.
Pierre, c’est un type assez banal, somme toute. Prêt à quelques excentricités par amitié, et tout à coup, capable de laisser tomber son ami. Il est humain, voilà tout.

Quand on parle de reniement, on imagine peut-être la grande trahison, celle dont un vrai ami ne serait jamais capable. Et surtout pas Pierre, lui qui avait été le premier à assurer à Jésus que jamais il ne le laisserait tomber. Mais la trahison a commencé par un simple petit mensonge. Quand la servante l’interpelle en croyant reconnaître en lui un ami de Jésus, il baisse le regard, marmonne qu’il ne sait pas de quoi elle veut parler et se dérobe. La deuxième fois qu’il est pris à partie, il dit ne pas connaître Jésus. Et la troisième fois, enfermé dans son mensonge, il affirme haut et fort son qu’il ne le connaît pas.

Il y a progression : plus il ment plus il est obligé de mentir. Un petit mensonge qui fait boule de neige et qui s’affirme de plus en plus. Il suffit de bien peu pour en arriver là. Un petit manque de courage, un moment de faiblesse. De cette petitesse-là, nous en sommes tous capables, je crois.

Dans notre bilan de l’année écoulée, nous pouvons certainement tous trouver au fond de notre mémoire ces petits moments où le courage nous a manqué. Ces instants dont nous ne sommes pas fiers. Il faut bien les chercher car souvent, nous nous empressons de les oublier. Croyant ainsi que si nous les enfouissons bien dans l’oubli, ils n’auront peut-être pas vraiment existé.

Une confiance solidement ancrée

Pierre: l’ami, le compagnon fidèle, le lâcheur aussi. Et après?…
Après la mort de Jésus, Pierre a été l’un des premiers à témoigner de sa résurrection. Il s’est fait le porte-parole de la bonne nouvelle. Cette bonne nouvelle, Pierre a pu la transmettre avec conviction et assurance, car il en avait lui-même fait l’expérience. Il pouvait témoigner que malgré ses défaillance, il n’avait pas été rejeté. Malgré sa trahison, sa position d’ami ne lui était pas niée. Oui, il avait trahi. Mais il n’avait pas été réduit à cette trahison.

Dans cette période de vœux, j’aimerais vous exhorter à entamer cette année avec la confiance et l’élan qui habitaient Abraham. Cette confiance qui permet d’envisager de grands projets et de voir l’avenir avec enthousiasme.
J’aimerais… mais je ne le ferai pas.

Parce que je ne voudrais pas travestir la confiance en un seul vœu pieux. Dénaturer cette confiance en un souhait illusoire aussitôt oublié.

Ce que je voudrais, c’est vous transmettre ma certitude que chacun et chacune a une valeur aux yeux de Dieu, malgré sa part de Pierre. Si vous avez vous aussi cette certitude, je crois que vous saurez trouver la confiance qui a porté Abraham. Une confiance qui ne s’éteint pas comme un feu de paille dès qu’il faut faire face à une difficulté.
Mais une confiance solide, qui permet justement de se relever d’envisager l’avenir.

Amen.